Dans le cadre d’une
Lecture Commune Accros & Mordus de Lecture, j’ai lu le discours prononcé par Simone Veil à l’Assemblée Nationale le 26 novembre 1974, présentant la loi l’interruption volontaire de grossesse. Mon avis est assez décousu, n'a pas réellement de fil conducteur et ne va pas au fond des choses, il constitue surtout mes réactions brutes à la lecture, mon sentiment d'injustice et le fait que, pour gagner cette bataille, Simone Veil a dû user des rouages politiques qui enlèvent beaucoup de beauté au geste final. Mes mots peuvent paraître très critiques mais ce n'est pas envers Simone Veil, plutôt envers la société de l'époque mais aussi l'actuelle. Pour ceux qui voudraient lire le discours, il est disponible
ici.
Document
Discours de Simone Veil à l'Assemblée Nationale lors de la séance du 26 novembre 1974, présentant le projet de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, dite Loi Veil, qui sera adoptée le 17 janvier 1975.
Le document est le compte rendu intégral de cette séance, le discours de la Ministre de la Santé allant de la page 6998 à la page 7002.
Mon avis
Souvent cité, ce discours illustrait à mes yeux le combat mené par Simone Veil pour les droits des femmes tout au long de sa vie. Haute figure du féminisme, régulièrement prise en exemple, elle est de ces femmes incontournables lorsqu’on veut rappeler les combats menés et ce qu’il reste à accomplir.
Au fil de ma lecture, j’ai déchanté, oubliant l’époque, le contexte, le lieu où ce discours a été prononcé. Dès le début, le premier argument avancé m’a paru vicié :
«
Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu'elle est déplorable et dramatique.
Elle est mauvaise parce que la loi est ouvertement bafouée, pire même, ridiculisée. Lorsque l'écart entre les infractions commises et celles qui sont poursuivies est tel qu'il n'y a plus à proprement parler de répression, c'est le respect des citoyens pour la loi, et donc l'autorité de l'Etat, qui sont mis en cause.
Lorsque des médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaitre publiquement, lorsque les parquets, avant de poursuivre, sont invités à en référer dans chaque cas, au ministère de la justice, lorsque des services sociaux d'organismes publics fournissent à des femmes en détresse les renseignements susceptibles de faciliter une interruption de grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charter des voyages à l'étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d'anarchie qui ne peut plus continuer (Applaudissements sur divers bancs des républicains indépendants, de l'union des démocrates pour la République, des réformateurs, des centristes et des démocrates sociaux et sur quelques bancs des socialistes et radicaux de gauche.) »
C’était donc la face du pays qu’il fallait sauver en tout premier lieu ? J’ai dû respirer, me rappeler qu’il s’agissait d’un exercice oratoire face à des hommes, majoritairement, dont de nombreux conservateurs. Des hommes qu’il fallait tenter de séduire dès le départ avant d’aborder les autres points clés, les points qui traitaient enfin des femmes. Dès le début de ce discours, j’ai été ramenée sur terre en me rappelant qu’il s’agissait de politique et non de philanthropie. Emportée par mon enthousiasme face à ce discours que j’avais tant fantasmé, j’en ai oublié l’essentiel : il s’agissait de faire passer une loi et non de changer les mentalités dans un cercle où le travail aurait été titanesque, sûrement impossible.
Par la suite, Simone Veil rappelle que l’avortement n’est pas une balade de santé, un choix fait sur un coup de tête, surtout quand il est interdit par la loi et répréhensible, surtout quand il est pratiqué dans la clandestinité et, parfois, par des bouchers avides de deniers. La Ministre de la Santé qu’elle est alors explique le problème sanitaire, qu’il soit physique ou moral. Elle passe par la préoccupation qui incombe à un État, la démographie, montrant que le droit à l’avortement ne va pas stopper les naissances mais juste garantir un encadrement et une juste prise en charge d’un acte déjà pratiqué.
La démographie, cette peur intestine de l’Homme mais surtout des hommes de voir les naissances chutées, de voir les femmes contrôler et choisir si elles veulent tomber enceinte ou non, cette peur déjà soulevée au moment de la légalisation de la contraception. Mais qui étaient-elles, ces femmes, ces moitiés d’hommes, pour oser vouloir choisir le moment où elle accepterait de laisser une vie croitre en elles ?
La contraception est largement encouragée dans le discours de Simone Veil et elle met cela en opposition à l’avortement qui ne sera pas encouragé mais encadré. D’ailleurs, l’accent est mis sur la prise en charge psychologique, sur l’accompagnement réservé aux femmes prises en charge : tout sera fait pour s’assurer qu’elles n’ont pas d’autres choix. Au moins, on parle de leur choix. S’il est soulevé que ce choix devrait être pris « en famille », la parole finale sera donnée à la femme. Non pas parce qu’on la juge seule maître de cette décision de vie mais parce qu’il est certain que, si elle ne veut vraiment pas de cet enfant, la femme trouvera le moyen de s’en débarrasser. Là aussi, on sent qu’il s’agit d’un exercice de séduction, que Simone Veil montre qu’il n’y a pas d’autre solution que de laisser ce choix aux femmes, mais ça n’en reste pas moins dur à encaisser en tant que femme. J’ai du mal à vivre à mon époque, avec le sexisme toujours ambiant, mais je n’ose imaginer ce que ça devait être dans les années 70.
En tant que femme, Simone Veil a sûrement dû se plier à une lutte houleuse avec sa morale pour placer ses arguments. Vu plusieurs décennies après, son discours transparait clairement comme celui d’une charmeuse de serpents, plaçant çà et là des phrases qui font mal à la féministe que je suis mais je comprends.
Mais un point m’a vraiment chagrinée, même en me replaçant dans le contexte de l’époque : le choix de ne jamais avoir d’enfant.
Simone Veil insiste beaucoup sur le fait que l’avortement doit être autorisé pour ne pas laisser une femme en détresse prendre une décision irrévocable, elle explique qu’une grossesse non désirée et pire, détestée, peut mener à des gestes terribles, au suicide. Dans son argumentaire, c’est le timing qui est le point clé : les femmes doivent pouvoir avorter si leur grossesse n’est pas désirée à un instant T, si leur situation familiale ou financière n’est pas idéale. Le timing doit être le bon pour que l’enfant puisse être élevé dans les meilleures conditions, chéri, porté vers son avenir (et accessoirement l’avenir du pays, évidemment).
Et puis, il y a cette partie :
«
Rares sont les femmes qui ne désirent pas d'enfant ; la maternité fait partie de l'accomplissement de leur vie et celles qui n'ont pas connu ce bonheur en souffrent profondément. Si l'enfant une fois né est rarement rejeté et donne à sa mère, avec son premier sourire, les plus grandes joies qu'elle puisse connaître, certaines femmes se sentent incapables, en raison des difficultés très graves qu'elles connaissent à un moment de leur existence, d'apporter à un enfant l'équilibre affectif et la sollicitude qu'elles lui doivent. A ce moment, elles feront tout pour l'éviter ou ne pas le garder. Et personne ne pourra les en empêcher. Mais les mêmes femmes, quelques mois plus tard, leur vie affective ou matérielle s'étant transformée, seront les premières à souhaiter un enfant et deviendront peut-être les mères les plus attentives. C'est pour celles-là que nous voulons mettre fin à l'avortement clandestin, auquel elles ne manqueraient pas de recourir, au risque de rester stériles ou atteintes au plus profond d'elles-mêmes. »
En 1974, il y a déjà des femmes qui n’ont pas d’enfants par choix. Il y a des femmes qui s’accomplissent par un autre aspect de leur être que leur utérus. Pourtant, aux yeux des têtes dirigeantes du beau pays qu’est la France, ces femmes sont visiblement incomplètes. Biologiquement, et socialement, l’être humain tend évidemment à se reproduire, à transmettre une partie de lui à un être à façonner et voir grandir. Mais certains et certaines font le choix de ne pas avoir d’enfants et, quand il s’agit des femmes, la France de 1974 considère que ce choix entrave la réussite de la vie. Alors oui, sûrement qu’en 1974 c’était une croyance profondément inscrite dans l’esprit des gens, sûrement aussi que le manque de considération envers les femmes pour autre chose que leur capacité à pondre des mioches faisait que tous pensaient que la maternité était le plus bel accomplissement de la femme.
Si j’ai eu mal en lisant ce passage, je l’ai compris après, c’est parce que aujourd’hui encore, en 2018, les hommes mais surtout les femmes qui disent ne pas vouloir d’enfant sont niés. Du haut de mes 25 ans, quand je dis « peut-être un jour mais je ne suis même pas sûre d’en vouloir » on me répond « Tu verras, plus tard, tu en voudras, tu as le temps ». C’est peut-être vrai mais ça part d’une condescendance gerbante, d’un « tu ne sais pas ce que tu dis, tu vas changer d’avis ». Je n’ai pas encore d’avis clair sur la question mais je rage intérieurement en pensant à toutes ces femmes qui, elles, savent qu’elles n’en veulent pas et qu’on nie dans leur choix. Ces femmes qui ne veulent pas d’enfant et à qui on dit « tu verras, plus tard… ». L’ensemble de ce discours et ce point m’ont juste rappelée qu’aujourd’hui encore, quand on est une femme, nos choix sont remis en question. On ne remet pas en question un homme qui fait un choix. Nos choix professionnels sont toujours questionnés vis-à-vis d’une actuelle ou future vie de famille. Nos choix personnels aussi.
Oui, les mentalités ont évolué, les gens sont plus ouverts d’esprit, les femmes réussissent à s’imposer plus souvent. Mais c’est tout le problème : les hommes évoluent, s’ouvrent l’esprit, nous laissent une place… Alors que ça devrait être naturel. On ne demande pas à un homme dans un entretien d’embauche s’il compte avoir des enfants, mais à une femme, si. Question de congés maternité mais aussi de congé vacances plus tard, de la garde des enfants… Et à travers ce discours de 1974, je me suis rendue compte que les choses évoluaient trop lentement. Qu’en tant que femmes, nous devons toujours argumenter nos choix, expliquer pourquoi. Prouver encore et encore ce que nous valons. Comme Simone Veil a dû le faire : expliquer pourquoi le choix d’une grossesse revenait à la femme et pourquoi il fallait autoriser l’IVG.
Plus de quarante ans plus tard, il faut encore justifier nos choix.
Merci Simone Veil et désolée d’avoir eu à lire un discours politique plutôt qu’une tribune sortant de tes tripes. Promis, la prochaine fois, je lirai tes écrits pour retrouver la foi.
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