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Rambalh, c'est un pot pourri de mes lectures, un blog pour partager mes coups de coeur et de gueule. Rambalh signifie Bordel en Occitan et c'est un peu le cas de ce blog. Il est surtout né de mon besoin de garder une trace de mes lectures. Retrouvez-moi aussi sur Accros & Mordus de Lecture.

mardi 28 décembre 2021

La petite fille aux yeux sombres de Marcel Pagnol

Depuis quelques années je me donne le temps de découvrir l'oeuvre de Marcel Pagnol.



Quatrième de Couverture
Ils sont trois, ils sont amis, ils ont vingt ans. Nous sommes au début de ce siècle et Marseille était alors – elle est encore – une des plus belles cités du monde. « Le premier s’appelle Louis-Irénée Peluque : il est gardien au jardin zoologique. Le deuxième s’appelle Felix-Antoine Grasset : il est poète et philosophe, c’est-à-dire qu’il tire longuement sa pipe et ne fait rien. Le troisième, qui a trouvé un travail approximatif chez un éditeur, s’appelle Jacques Panier. »
L’amour est-il un piège que nous tend le génie de l’Espèce aux seules fins de se perpétuer ? C’est ce que pensent Peluque et Grasset. C’est aussi l’idée de Jacques Panier, qui a juré que l’on ne l’y prendrait pas. « Mais les plus belles idées ne pèsent pas lourd contre la nature, et comment rester philosophe quand on voit passer tous les jours, à la même heure, discrète, silencieuse et timide, une petite fille aux yeux sombres ? »
Marcel Pagnol n’était pas beaucoup plus âgé que Jacques Panier quand il écrivit ce petit roman. Mais on y trouve déjà ce ton inimitable qui allait être le sien, son humour, sa poésie…

Mon avis
La petite fille aux yeux sombres met un groupe d’amis face à la réalité de la trivialité de la vie. Du haut de leurs vingt ans, ils sont persuadés de tout comprendre du monde, ils pendent que leur érudition peut les préservés des bas instincts… Mais l’amour, aussi futile soit-il, réduit les grandes théories à néant. Dans un style encore en construction, Marcel Pagnol nous entraîne dans la Marseille du début du siècle dernier à la suite de ses personnages qui ont encore tout à apprendre.

Quelle douce balade dans les rues de Marseille sous la plume encore jeune de Marcel Pagnol. La petite fille aux yeux sombres regorge déjà de ces mots qui font le plaisir de lire Pangol. On y sent la jeunesse, la recherche du style aussi. On sourit en imaginant le jeune écrivain ajouter des allusions (trop nombreuses ici, fougue de la jeunesse) à la grande mythologie. On découvre déjà ses préoccupations sur le temps qui passe, sur les illusions créées par l’amour. L’influence d’un cercle intellectuel y est très présent, ça fait partie du charme de ce petit roman : Marcel Pagnol est en pleine construction, il décortique son talent brut, y ajoute quelques fioritures qui disparaîtront avec le temps. Le texte offre une sensation très scolaire mais il suffit tout de même à faire passer un très doux moment de lecture.
Déjà ici, le sexe « faible » subit le courroux de l’auteur qui ne rate pas une occasion du haut de son jeune âge de reprocher aux femmes d’être à l’origine de ses moments d’égarements oisifs : comme le jeune Marcel dans Souvenirs d’enfance, marque incontestable de l’avis d’alors du jeune écrivain.

La petite fille aux yeux sombres ne devrait cependant pas être le premier livre lu de Marcel Pagnol : il se savoure bien plus lorsqu’on le lit pour revenir aux sources, aux débuts de l’écrivain. Il n’est pas parfait et montre clairement le manque d’expérience de la vie de Marcel Pagnol, son statut d’étudiant à l’époque. Il se laisse apprécier parce que l’on connaît déjà la plume fabuleuse de Pagnol et qu’on cherche à savoir par quelles étapes elle est passée pour atteindre sa forme finale.

« J’ouvris la porte et m’en fus au plus proche café. Comme je franchissais le seuil, il y eut en moi une vive discussion entre l’ivrogne, le bon vivant, l’hygiéniste et le sportsman, pour savoir si je pouvais boire un petit verre d’alcool. Le prelier tour du scrutin se termina par un ballotage ; mais le barman, en me demandant ce que je voulais boire, me rappela que j’y étais obligé par ma seule présence en ce lieu : ce qui trancha le débat. » p. 94.

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

dimanche 19 décembre 2021

Circé de Madeline Miller

Les copains sur A&M ont beaucoup aimé ce livre et je me suis laissé influencer en début d'année, le tout sans regret !



Quatrième de Couverture
Fruit des amours d’un dieu et d’une mortelle, Circé la nymphe grandit parmi les divinités de l’Olympe. Mais son caractère étonne. Détonne. On la dit sorcière, parce qu’elle aime changer les choses. Plus humaine que céleste, parce qu’elle est sensible. En l’exilant sur une île déserte, comme le fut jadis Prométhée pour avoir trop aimé les hommes, ses pairs ne lui ont-ils pas plutôt rendu service ? Là, l’immortelle peut choisir qui elle est. Demi-déesse, certes, mais femme avant tout. Puissante, libre, amoureuse…

Mon avis
Circé est une nymphe, fille du Titan Hélios, dans un monde mystique où déplaire à son père est impensable. Le grand Hélios est terrifiant lorsque sa colère éclate, lui qui rayonne tout en attendant patiemment le jour où les Titans reprendront le dessus sur les Oympiens. Circé cherche chaque jour le bon moment pour obtenir l’approbation de son père, elle qui est la seule dans le monde divin à détonner avec sa voix aux sonorités humaines et son physique « basique ».
Une rencontre avec Prométhée lors de la mise en place de son châtiment va offrir à Circé de nouvelles perspectives. En bravant les lois divines, elle aussi doit expier ses fautes : elle se découvre alors complètement et se bat corps et âme pour s’extraire de sa destinée et choisir sa voie, malgré la cruauté des Dieux.

Madeline Miller nous propose une réécriture du mythe de Circé, la sorcière de l’Iliade qui fait une apparition dans l’épopée du célèbre Ulysse. La réécriture est moderne et s’inscrit dans le processus de réécriture de l’Histoire à travers le regard des femmes, comme une autre de mes lectures de l’année La trahison des dieux de Marion Zimmer Bradley.
Je ne connaissais de Circé que l’épisode des cochons, lu lors de l’étude de l’Iliade en classe de 6ème, à une époque où voir la sorcière au second plan, soumise aux charmes d’Ulysse ne me choquait pas. Plus de quinze ans plus tard j’ai parcouru du chemin et ce livre de Madeline Miller colle pas mal à la femme que je suis devenue. Il est utile que des autrices comme elle se réapproprient des millénaires de littérature pour changer la donne. Si ici il s’agit de mythologie, on peut tout de même faire le parallèle avec l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et c’est d’ailleurs ainsi que c’est écrit :

« Plus tard, des années plus tard, j’entendrais la chanson relatant notre rencontre. Bien que le garçon qui la chantait soit inexpérimenté, manquant les notes plus souvent qu’il ne les réussissait, la douce mélodie des vers resplendissait malgré sa piètre performance. Je ne fus pas étonnée du portrait qu’on y faisait de moi : la fière sorcière d’avouant vaincue devant l’épée du héros, s’agenouillant et demandant grâce. Il semble que punir les femmes soit le passe-temps favori des poètes. Comme s’il ne pouvait y avoir d’histoire à moins que nous ne rampions en pleurant. » chap. 16, p. 293.

Dans ce roman, l’écriture cristalline de Madeline Miller met en lumière le parcours semé d’embûches de Circé, cette déesse différente, qualifiée de sorcière car elle possède le don de façonner et user de la magie de la nature, un pouvoir que craignent les Dieux. Pour avoir osé s’élever contre les lois divines et avoir métamorphosé des êtres, elle est exilée sur l’île déserte dont elle devient au fil de sa vie la maîtresse et la protectrice. Son châtiment, elle le transforme en libération : loin des autres Dieux, elle peut enfin tracer sa propre voie et devenir elle-même :

« Cette pensée était la suivante : bien que toute ma vie n’ait été qu’opacité et profondeurs, je ne faisais pas partie de cette eau sombre. J’étais simplement une créature vivant à l’intérieur. » chap. 2, p. 39.

Malgré cette sensation d’émancipation, Circé se rend chaque jour compte des manigances des Dieux mais aussi de la faillibilité des hommes. Sa puissance lui permet de tenir la plupart des dangers à distances mais l’implacabilité du destin lui revient régulièrement au visage. Les Dieux sont cruels, ils se gorgent du contrôle qu’ils ont sur le monde et se plaisent à le rappeler sans cesse, principalement après une accalmie feinte.

« Combien de fois devrais-je apprendre cette leçon ? Chacun de mes moments de paix était un mensonge, car il ne dépendait que du bon plaisir des Dieux. Peu importe ce que je faisais et combien de temps je vivrais, au moindre caprice, ils pourraient toujours tendre le bras et disposer de moi à leur guise. » chap. 17, p. 327.

Circé grandit au fil du temps, elle puise en elle des forces insoupçonnées et comprend peu à peu en quoi les humains sont enviables : ils meurent. Savoir que la vie prend fin un jour les pousse à vivre réellement pour eux et à affronter leur destin, ce que Circé cherchera alors à faire tout au long de sa vie. Sa force ne tient pas au fait qu’elle reste debout mais bien qu’elle se relève à chaque fois qu’elle tombe parce que cela vaut mieux que de se soumettre au monde des Dieux. Elle est façonnée par les êtres qui croisent sa route tout comme elle les influence bien plus que ce qu’elle peut croire. Et c’est en ça que Circé décrite par Madeline Miller est une grande héroïne : c’est par son interaction avec les autres qu’elle trace sa voie.

La partie que j’ai le moins aimée est celle avec Ulysse : le héros me gênait, rien ne me plaisait dans ce passage. La suite m’a permis de comprendre pourquoi ma réaction et mes émotions changeaient. Encore une preuve du talent de Madeline Miller et de l’impact de son écriture.

La fin est rapide mais parfaite, elle colle complètement à Circé telle qu’elle est développée au fil des pages. Cette réécriture clairement féministe est agréable même si elle m’a moins transportée que La trahison des dieux de Marion Zimmer Bradley : l’effort de Madeline Miller arrive à une époque assez convenue par rapport à celui de son aînée, à un moment où Circé pourrait être un énième bouquin surfant sur la vague du féminisme du 21ème siècle s’il n’était pas aussi bien écrit.

« On affirme souvent que les femmes sont des créatures délicates, comme les fleurs, les œufs et tout ce qui peut être écrasé dans un moment d’inattention. Si je l’avais jamais cru, ce n’était plus le cas désormais. » chap. 21, p. 449.

J’ai adoré cette lecture malgré mon besoin de me couper des lectures militantes ces derniers mois. Madeline Miller a su me charmer autant que son personnage.

Les avis des Accros & Mordus de Lecture