J’ai découvert
Le Prieuré de l’Oranger grâce à mes colocs de l’amour (anciennes colocs, certes, mais de l’amour pour toujours) lors de nos vacances retrouvailles. Il nous fallait un livre à lire en commun, pour poursuivre notre petite tradition LC et c’est ce titre qui est sorti du chapeau magique de Loeiza. Un pur plaisir de lire à trois et de guetter nos réactions au fur et mesure de notre avancée.
Quatrième de Couverture
Un monde divisé. Un reinaume sans héritière. Un ancien ennemi s'éveille. La maison Berethnet règne sur l'Inys depuis près de mille ans. La reine Sabran IX qui rechigne à se marier doit absolument donner naissance à une héritière pour protéger son reinaume de la destruction, mais des assassins se rapprochent d'elle... Ead Duryan est une marginale à la cour. Servante de la reine en apparence, elle appartient à une société secrète de mages.
Sa mission est de protéger Sabran à tout prix, même si l'usage d'une magie interdite s'impose pour cela. De l'autre côté de l'Abysse, Tané s'est entraînée toute sa vie pour devenir une dragonnière et chevaucher les plus impressionnantes créatures que le monde ait connues. Elle va cependant devoir faire un choix qui pourrait bouleverser son existence. Pendant que l'Est et l'Ouest continuent de se diviser un peu plus chaque jour, les sombres forces du chaos s'éveillent d'un long sommeil...
Bientôt, l'humanité devra s'unir si elle veut survivre à la plus grande des menaces.
Mon avis
Le Prieuré de l’Oranger est un roman de fantasy qui nous plonge dans une quête où le destin de trois femmes les unit dans le but de vaincre le terrible Sans-Nom, menace suprême pour l’humanité. Au cours de la lecture, nous plongeons dans les intrigues des différentes contrées menacées, dans leurs us et coutumes, leurs croyances surtout. À travers les différents points de vue, nous comprenons que l’histoire est modelée selon chacun, qu’elle peut varier d’un côté à l’autre du monde et que la part de vérité de chaque récit permet de trouver les clés ouvrant les portes de la Vérité.
Samantha Shannon a expliqué s’être inspirée de la
légende de Saint Georges et le Dragon, figure du christianisme, où Saint Georges terrasse un dragon qui réclamait des sacrifices humains en sauvant la population. Il aurait par ses actes négocié la conversion au christianisme de cette population. Et, effectivement, lorsque l’on parcourt les pages de ce roman, on retrouve bien les rouages de cette histoire… Et surtout cette conversion actée par le Saint qui sauve le monde et qui impose son règne ainsi que l’idolâtrie de sa personne un millénaire durant.
La réécriture de Samantha Shannon est féministe et assumée, tout en étant fine et sans lourdeur. Les femmes y sont fortes sans avoir besoin d’écraser les hommes. Elles y règnent comme eux mais ont tout de même été gommées dans certains points clés de l’histoire… Chose que nos trois héroïnes vont rectifier en cherchant à sauver le monde.
Nous retrouvons dans cet univers les codes de la fantasy, voire de l’heroic fantasy à travers une quête complexe, des complots, de la magie, la nécessité de jongler entre les croyances de chacun, le besoin de s’unir pour vaincre.
En plus de 900 pages, les événements s’enchaînent vite tout en suivant une chronologie cohérente, s’écoulant en plusieurs longs mois, voire années. Samantha Shannon ne s’embarrasse pas d’événements inutiles, de détails superflus. Chaque chapitre amène un rouage à l’histoire et c’est en ça que son récit est très bien mené. En plus d’une écriture agréable, fluide et suffisamment appuyée par une description précise et efficace, l’autrice plante son décor au fur et à mesure de l’intrigue et ne nous perd jamais en route grâce à l’absence de longueurs de l’histoire.
Les personnages sont variés, intéressants et ouvrent des fenêtres sur un multiculturalisme très appréciable. Samantha Shannon s’inspire des cultures réelles que nous pouvons connaître pour modeler celles de sa fiction et ses descriptions nous permettent de mieux appréhender ce qu’elle avait en tête : de l’orient à l’occident, du Sud au Nord, ses choix montrent les conséquences d’un monde cloisonné lorsque la fin du monde est proche tout en accentuant l’intérêt de faire fi des différences et de les utiliser au mieux.
Si les personnages ne sont pas exploiter à leur maximum, cela n’est en rien un problème : il y a la dose suffisante même si ceux qui aiment plus de profondeur risquent d’être frustrés. Rajouter 200 pages pour approfondir aurait été prendre le risque de laisser de côté les lecteurs qui aiment aller à l’essentiel.
Les relations entre les personnages sont aussi intéressantes même si seul le lien entre Sabran et Ead est réellement exploité. C’est un choix qui ne m’a pas dérangée, qui permet de surcroît d’avoir une relation LGBTQ+ non stéréotypée, non forcée et naturelle à la lecture, et c’est un gros plus pour moi. J’aime le naturel, l’expression de la réalité de certains sentiments, désirs et les œuvres actuelles ont encore bien trop de mal à mettre en avant ces liens sans une dose de forçage insupportable. Ici, ça coule de source et ça fait du bien. On ne se dit pas « ah bon ? » ou encore « ah ouais c’est le quota minimum pour satisfaire les gens ». C’est là, c’est comme le soleil qui brille, la lune qui veille, les saisons qui défilent.
N’ayant pas lu de fantasy depuis un bail, j’ai adoré ce roman. Il réunit les bases du genre, nous tient en haleine et reste efficace. Cependant, je pense que les habitués, les grands lecteurs risquent de ne pas réellement accrocher : il n’y a rien de novateur dans ce roman et son intérêt se situe plutôt autour des liens entre les nations, les croyances et les personnages. Les lecteurs cherchant un scénario épique novateur risquent d’être déçus.
Selon moi, ce roman s’adresse surtout au grand public plutôt qu’aux habitués, ce qui n’est pas une critique mais plutôt un avertissement :
Le Prieuré de l’Oranger est encensé depuis sa sortie et cette publicité peut largement induire en erreur. C’est un excellent roman pour les lecteurs éclectiques, un roman sûrement basique pour les lecteurs assidus de fantasy et d’heroic fantasy. Comme souvent, la promotion d’un livre peut être trompeuse si le public réellement visé n’est pas annoncé.
Et, il faut le dire, le féminisme qui transpire dans chacune des pages de ce livre est largement mis en avant par effet de mode mais, rassurez-vous, c’est comme la relation entre Sabran et Ead : ça coule de source. Rien ne semble forcé, stéréotypé à outrance. C’est là, c’est naturel, et ça fait du bien.
Un roman que je conseille à tous ceux qui veulent lire un peu de fantasy sans avoir peur de se perdre dans une univers complexe.
« Ce qu’il y a en dessous doit être en équilibre avec ce qu’il y a au-dessus,
En ceci réside la précision de l’univers.
Le feu s’élève de la terre, la lumière descend du ciel.
Trop de l’un embrase l’autre,
En ceci réside l’extinction de l’univers. »
Les avis des Accros & Mordus de Lecture