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Rambalh, c'est un pot pourri de mes lectures, un blog pour partager mes coups de coeur et de gueule. Rambalh signifie Bordel en Occitan et c'est un peu le cas de ce blog. Il est surtout né de mon besoin de garder une trace de mes lectures. Retrouvez-moi aussi sur Accros & Mordus de Lecture.

vendredi 5 juin 2020

Le vice de la lecture d'Edith Wharton

Encore un petit essai dénicher à la librairie de la Halle Saint Pierre. Une lecture qui m'a permis de découvrir Edith Wharton pour le meilleur mais surtout pour le pire.



Quatrième de Couverture
« Peu de vices sont plus difficiles à éradiquer que ceux qui sont généralement considérés comme des vertus. Le premier d’entre eux est celui de la lecture. »

Dans ce texte paru en 1903 dans une revue littéraire américaine, la romancière Edith Wharton (1862-1937) dénonce l’obligation sociale de la lecture, nuisible à la littérature et fatale à l’écrivain.

Mon avis
Le vice de la lecture est un texte dont j’avais vaguement entendu parler : j’avais en tête qu’il s’agissait d’un plaidoyer sur l’addiction à la lecture ou encore le plaisir coupable d’aimer lire et d’accumuler des ouvrages sans avoir le temps de tous les lire. Pourquoi cette impression s’était-elle imprimée dans mon cerveau ? Aucune idée mais, du coup, je peux vous dire que j’ai été très surprise en lisant ce texte.

Petit résumé tout personnel de cette lecture : Edith Wharton offre l’étendue de son mépris pour les lecteurs qui ont le malheur de ne pas être des « lecteurs-nés » soit des lecteurs touchés par la grâce de la littérature de façon innée (et, étrangement, même si ce n’est pas clairement dit, cette grâce semble préférer une certaine catégorie de la population).

Edith Wharton distingue deux catégories de lecteurs.
Du côté de la légitimité, elle décrit le lecteur-né comme la seule personne capable de lire réellement. Pour elle, lire est un art auquel seul le lecteur-né peut prétendre :

« Pourquoi serions-nous tous des lecteurs ? Nous ne sommes pas censés être tous musiciens, mais lecteurs nous devons tous l’être ; voilà pourquoi ceux qui ne peuvent lire avec inventivité lisent mécaniquement – tel un homme sans aptitude pour le violon qui considèrerait le grincement produit par un orgue de Barbarie comme un accomplissement équivalent ! »

Du côté du vice, donc, nous retrouvons le lecteur mécanique, ce pauvre fou qui ose toucher du doigt un art auquel il n’a pas droit. Ce lecteur mécanique qui représente le mal absolu et qui entraîne la chute de la vraie littérature, celle qu’il souille de son vil regard. Mais où est le mal ? On pourrait croire que c’est dans le fait que ce lecteur mécanique peut dévorer des fictions à la chaîne et permet à une littérature dite « moins noble » d’exister mais non, c’est bien pire avec la suite directe de la citation :

« Il doit être admis, d’emblée, qu’en matière de lecture, les vrais offenseurs ne sont pas ceux qui se restreignent à la camelote avérée. Un lecteur qui s’avoue grand dévoreur de fiction futile cause peu de dommages. Celui qui se précipite sur « le livre du moment » ne nuit pas gravement au développement de la littérature. La sorte d’esprit qui discerne dans les divisions naturelles de l’écorce du melon la preuve qu’il doit être dégusté en famille pourrait même considérer certains ouvrages – ceux qui ne nécessitent aucun effort autre que de tourner les pages et se servir de ses yeux – comme spécialement conçus pour le bon plaisir du lecteur mécanique,, façon distributeur automatique : « Veuillez appuyer sur la touche adéquate pour sélectionner le livre désiré. » La providence s’avère alors une infaillible pourvoyeuse en auteurs dont la mission évidente consiste à protéger la littérature des ravages provoqués par les sots ; et c’est seulement lorsque le lecteur mécanique s’égare hors de son pré carré qu’il devient un danger. L’idée à la mode selon laquelle lire est une qualité morale a hélas conduit nombre de consciencieuses personnes à renoncer à leur innocent badinage avec les livres facules pour des relations bien plus épuisantes avec la littérature. Ceux-là se font « un devoir de lire ». […] C’est lorsque le lecteur mécanique, armé de la haute idée de son devoir, envahit le domaine des lettres – discussions, critiques, condamnations ou, pire encore, éloges – que le vice de la lecture devient une menace pour la littérature. Alors même qu’il pourrait sembler d’un goût douteux de s’offusquer de cette intrusion motivée par de si respectables motifs, n’eût été cette incorrigible suffisance du lecteur mécanique qui fait de lui une cible légitime. L’homme qui joue un air sur un orgue de Barbarie ne cherche pas à soutenir la comparaison avec Paderewski ; le lecteur mécanique, lui, ne doute jamais de sa compétence intellectuelle. Tout comme la grâce mène à la foi, tant de zèle investi pour progresser est supposé conférer une cervelle. »

Bon, c’était une bien longue citation mais elle permet de capter l’essence même de cet essai : du mépris, encore et encore, partout, tout le temps. Dans cette citation, Edith Wharton écrase non seulement la littérature « camelote » qu’elle considère écrite pour les personnes aux qualités intellectuelles discutables, mais elle nous reproche, nous « sots » aussi petits que le sont nos cervelles, de chercher à pénétrer des sphères bien trop hautes pour nous esprits et de les menacer par nos capacités cognitives bien trop insignifiantes pour être retenues. Le tout dans le plus grand calme en disant « ouais ouais je sais ça peut paraître douteux mais regardez, ils sont vilains pas beaux, j’ai tellement raison et j’suis tellement dans mon droit ».
Une comparaison assez grossière me vient à l’esprit : c’est comme la politique. Le bas peuple est bien trop bête pour pratiquer l’art de la politique, pour en comprendre les rouages et s’il tape l’incruste dans cette roue de la fortune, tout part en eau de boudin. « Votez pour moi, je saurai vous défendre mais n’essayez pas de comprendre, vous êtes trop cons, faites-moi confiance, promis, ça suffira. »

Tout l’essai n’est qu’un déversement de haine envers les lecteurs jugés non légitimes. Les arguments y sont hautains et ne servent qu’à promouvoir l’entre soi encore et encore. Ce n’est pas une dénonciation de l’obligation sociale de lire comme le dit la quatrième de couverture mais plutôt une façon de dénigrer les personnes qui ont l’audace de vouloir lire des œuvres d’Edith Wharton considère écrites pour une élite seulement. Si le fait qu’un lecteur ne puisse comprendre toute la portée d’un texte mette en danger la littérature selon elle est un argument qui puisse être recevable, bien que discutable à mes yeux, c’est bien le fait qu’Edith Wharton considère qu’il faut un talent inné pour comprendre qui me sidère. Je ne comprends pas la portée de tout ce que je lis mais j’estime que j’ai le droit de lire, le droit d’apprendre, de me frotter au niveau littéraire que je souhaite sans que cela ne soit considéré comme un crime.

Et puis, de toute façon, entre Edith et moi, ça ne pouvait pas coller :

« Pour le lecteur mécanique, les livres une fois lus ne sont pas comme des choses qui grandissent, qui prennent racine et dont les branches s’entrelacent, mais des fossiles étiquetés puis rangés dans les tiroirs d’un meuble de géologue ; ou plutôt, comme des prisonniers condamnés à une vie entière de confinement solitaire. Avec un tel état d’esprit, les livres ne se parlent jamais les uns aux autres. »

Ma chère Edith, il semblerait que l’art d’user de la géologie pour faire des analogies nécessite aussi un talent inné dont vous étiez bien dépourvu. Je regrette que vous ayez eu l’audace de poser votre esprit bien trop altier sur une science dont visiblement vous ne saviez rien pour servir vos intérêts méprisables. Alors, comme je suis bien trop bonne, je vous offre une petite explication : ces fossiles sont eux aussi en interactions les uns avec les autres et ils permettent, figés dans le temps, de comprendre le passé, le présent et le futur. Ils ne sont pas confinés, bien au contraire, ils donnent des clés et leurs petits copains des tiroirs à côté permettent de toujours révéler plus de secrets les uns sur les autres. Comme quoi, l’usage mécanique de ce qu’on ne connaît pas est bien pire que de chercher à comprendre de nouvelles choses.

La géologue vous salue !

NB : J'ai encore des tas de passages surlignés, j'aurais aussi pu aborder le style argumentaire, les autres comparaisons douteuses mais j'aurais fini par citer l'intégralité du texte pour juste marteler à quel point le mépris est tout ce qui résume Le vice de la lecture.

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