Quatrième de Couverture
Philippe Pujol, prix Albert-Londres 2014, s’est fondu pendant dix ans dans le quartier le plus pauvre d’Europe, à Marseille.
Il sait fabriquer du cannabis coupé à l’huile de vidange. Il pénètre les HLM immondes, dégradés à dessein, où se pratique un culturisme stéroïdé, et repère les gosses guetteurs ou les nourrices planquées. Il se penche avec les flics de la BAC Nord, désabusés, sur les cadavres de minots de 20 ans assassinés, une Rolex à 5 000 euros au bras. Il écoute les plaintes des mères qui noient leur temps dans l’alcool et les médicaments.
Depuis 2004, il est l’un des rares à faire corps avec cette inhumanité-là. En toile de fond de cette grande misère, il décortique le système qui gangrène la région PACA : grand banditisme, corruption, clientélisme, conflits d’intérêts autant de facteurs qui d’année en année, contribuent à fabriquer ce monstre.
Mon avis
Mon livre contient encore quelques grains de sable récoltés involontairement au cœur des calanques où j’ai lu ce livre avec avidité cet été, savourant mes derniers moments marseillais tout en me plongeant dans le chaos qui anime cette ville que j’ai aimé fort pendant trois ans.
Philippe Pujol est ce qu’on peut appeler un spécialiste des quartiers nords de Marseille, ces quartiers utilisés par la presse nationale pour faire frémir les gens et leur faire croire que Marseille est une ville dangereuse, sournoise, vulgaire aussi. Philippe Pujol est de ces personnes qui vont au fond des choses, qui creusent pour montrer l’envers du décor et, surtout, ceux qui actionnent les ficelles auxquelles sont pendues les marionnettes misent sur le devant de la scène.
Marseille, c’est une ville vivante, une ville chantante, où la Bonne-Mère surplombe tout le monde, les forts comme les faibles, les voyous étiquetés comme ceux couverts de paillettes et de vernis. La Bonne-Mère les protège tous sans distinction, s’élevant au-dessus de chacun. Même moi, en tant qu’athée, j’aimais chercher Notre-Dame de la Garde dès que je posais le pied à Marseille, comme un petit rituel rassurant, et je souriais à chaque fois que je la regardais, même quand ça n’allait pas.
Et la Bonne-Mère est bien la seule des sommets à exercer sa bienveillance sur les Marseillais. C’est là tout le tragique de cette ville.
En commençant par nous décrire la misère des quartiers nords, Philippe Pujol creuse doucement la surface. On rencontre des gens qui cherchent à survivre, des anciens qui ne reconnaissent plus les méthodes violentes des voleurs d’aujourd’hui, des jeunes qui n’ont pas d’autre choix que d’entrer dans les réseaux de deal pour être, ironiquement, « tranquilles », des parents qui ont perdu la chair de leur chair dans une guerre de territoire où l’herbe et la résine côtoient sans problème poudres et produits plus liquides. Quand le jeune dealer amasse de quoi se payer le dernier Iphone, persuadé d’atteindre le sommet, il ne voit pas que le haut de la pyramide s’achète un nouveau palace dans un pays où il ne mettra jamais les pieds. Parce que c’est ça, Marseille. Ce n’est pas le petit dealer qui cultive son herbe dans son jardin et qui vend son surplus, c’est le gros magnat, comparable à un actionnaire du CAC40 qui possède tellement d’employés qu’il pourrait faire pâlir les plus grosses boîtes du pays grâce à son bénéfice net. Et ces têtes de file, personne ne les connait. Une chose est sûre, elles ne sont pas dans les quartiers et leurs hauts-gradés fidèles donnent déjà un aperçu de l’argent que génère la drogue. Il y a trente ans déjà, les enquêtes de police sur les réseaux de drogue étaient stoppées net dès que ça commençait à remonter dans les sphères de l’état, dès que ça passait la limite (cette source m’est personnelle, à vous de me croire ou non).
Ces Marseillais parqués dans les quartiers nords, à qui l’on offre que de fausses solutions pour s’en sortir permettent à ceux qui s’en mettent plein les poches d’obtenir ce qu’ils veulent : les soulèvements, les violences, les casseurs… Il faut de bons pions pour leur monter la tête et leur dire « regardez, ils vont nous prendre le peu que nous avons, il faut aller casser ici, ne les laissez pas faire ». Et le lendemain, ces mêmes personnes se pointent et demandent : « Avez-vous besoin d’un service de sécurité privé pour éviter qu’on ne vienne encore visiter votre chantier ? J’en possède un, c’est bien pratique. » Marseille, c’est comme ailleurs : on se sert de la misère du monde pour parvenir à ses fins.
Puis, ensuite, au milieu du carnage que les fondations de la pyramide subissent pour enrichir des gens qu’ils ne connaissent pas, comme dans le monde de la légalité finalement, Philippe Pujol creuse un peu plus et nous montre jusqu’où la gangrène s’est frayée un chemin : dans chaque administration, dans chaque arrondissement, dans chaque mairie. Comme dans une guerre, les soldats, ces revendeurs des quartiers nords, sont la chair à canon et les figures publiques qui dénoncent à tour de bras cette violence sont finalement tout autant impliquées dans la guerre, mais jouant de loin, déplaçant simplement des pions sur une carte.
Il creuse Philippe Pujol, encore et encore, en nous décrivant le monde politique de Marseille pourri jusqu’à la moelle, où même les élus issus des plus basses classes sociales en viennent à oublier leurs origines pour vivre dans ces tours d’ivoire qu’on leur propose. Et si possible, avec piscine au bord de la Corniche, évidemment. Ce monde politique où d’anciens du FN peuvent gentiment se revendiquer du PS tout en organisant encore des petites sauteries avec les copains aux idées flirtant avec le nazisme (et ce n’est qu’un euphémisme), ce monde politique où il faut laisser les quartiers populaires tomber en ruines pour ensuite tout raser et reconstruire pour une population bourgeoise qui dénature peu à peu l’âme de Marseille.
C’est là qu’on peut mesurer l’ampleur de la situation, surtout récemment avec la tragédie de la rue d’Aubagne, où des morts ne font que rendre les Marseillais plus engagés encore face à un maire qui continue de fermer les portes de la discussion et de l’élan solidaire. On laisse le centre s’enliser dans l’espoir de virer les gens pour cause d’insalubrité et accueillir ensuite des immeubles de standing. On regrette d’avoir laissé les épiceries et les kebabs s’installer sur la Canebière parce que, bon, maintenant, il faudrait quand même que les touristes y trouvent le luxe à la hauteur de leurs moyens. Merci Gaudin.
Marseille est une ville de la diversité, de l’entraide, du militantisme, de la tolérance et c’est tout ce qu’on ne montre jamais à la télévision. Il faut avoir passé du temps dans les rues de la ville, dans ses quartiers chaleureux pour le savoir, il faut avoir croisé la route de vrais Marseillais qui ne quitteraient jamais leur belle ville, de ces non-Marseillais qui ont décidé d’y faire leur vie après en être tombés amoureux. De ces gens de passage, comme moi, qui en gardent un souvenir merveilleux, qui sont passés du scepticisme à l’amour total pour une ville chargée d’histoire et de joie de vivre. Mais cette joie de vivre ne peut perdurer que si l’on y laisse les gens vivre.
Il aura fallu que je sois sur le départ pour enfin découvrir la plume de Philippe Pujol et je ne regrette rien, si ce n’est que je vais devoir acheter ses autres ouvrages tellement ce qu’il propose me transporte. Prise aux tripes, je n’ai pas réussi à lâcher ce livre avant la fin et j’y ai retrouvé des « faits divers » lus à l’époque dans les journaux mais, cette fois, chargés de l’histoire de fond et de la réalité du fatalisme vécu par les habitants des quartiers, nords ou centre finalement.
Découvrez Marseille, aimez-la ou détestez-la, mais plongez dans son histoire à travers le travail de Philippe Pujol. Vous perdrez peut-être un peu de votre foi en l’humanité d’un côté mais vous y gagnerez paradoxalement un peu de tolérance et une envie de changer les choses. Vous comprendrez un peu mieux cette Marseille militante qu’on ne montre que trop peu sur les chaînes nationales, de peur que cette solidarité et cet engagement se propagent partout en France.
« La violence, la drogue, l’affairisme, les magouilles, la corruption, le béton, l’élection, le racisme… Pour la France, et d’autres pays qui s’intéressent à nous, Marseille est une aventure à elle seule, sans avoir besoin de voyager. Elle constitue aussi une sorte de soupape de sûreté pour libérer la pression trop forte des problèmes refoulés dans l’Hexagone.
Comme si elle était seule, comme si elle était l’exception, comme s’il fallait accepter, fataliste, la figure du monstre. « C’est pas pareil, c’est Marseille. »
Pourtant, non. La plus jolie ville de France ne cache pas ses blessures. Elle est sincère. C’est tout.
Cette ville n’est tout simplement que l’illustration visible des malfaçons de la République française. »
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