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Rambalh, c'est un pot pourri de mes lectures, un blog pour partager mes coups de coeur et de gueule. Rambalh signifie Bordel en Occitan et c'est un peu le cas de ce blog. Il est surtout né de mon besoin de garder une trace de mes lectures. Retrouvez-moi aussi sur Accros & Mordus de Lecture.

lundi 31 décembre 2018

Une fille facile de Louise O'Neill

J’ai lu ce livre d’une traite ou presque, cet été, alors que ma coloc de l’amour venait de se l’acheter. Je le lui ai même un peu abîmé à coup d’eau de mer (pardon, je t’aime Lo) parce que je ne pouvais plus le lâcher, même au bord de l’eau.



Quatrième de Couverture
« Quand tu prononces un mot comme celui-ci, tu ne peux plus faire marche arrière. Fais comme s’il ne s’était rien passé. C’est plus simple comme ça. Plus simple pour toi. »

Emma a dix-huit ans, c’est la plus jolie fille du lycée. En plus d’être belle, elle est pleine d’espoir en l’avenir. Cette nuit-là, il y a une fête, et tous les regards sont braqués sur elle.
Le lendemain matin, ses parents la retrouvent inanimée devant la maison. Elle ne se souvient de rien. Tous les autres sont au courant. Les photographies prises au cours de la soirée circulent sur les réseaux sociaux, dévoilant en détail ce qu’Emma a subi. Les réactions haineuses ne se font pas attendre ; les gens refusent parfois de voir ce qu’ils ont sous les yeux. La vie d'Emma est brisée ? Certains diront qu'elle l'a bien cherché.

Mon avis
Je ne vais pas résumer le synopsis de ce bouquin mais me contenter d’abord les points importants à mes yeux. Une fille facile traite du viol du point de vue de la victime mais, ici, la victime culpabilise. La victime se place comme responsable de son viol, et le voit comme sa propre erreur de parcours. Emma encaisse, elle garde la tête haute, au début, persuadée que sa place dans la hiérarchie sociale de son lycée et même de sa ville suffira à faire oublier cet épisode. Elle s’excuse. Elle regrette d’avoir mis ses agresseurs dans cette situation.

Et tout au long du roman, son corps et son esprit divaguent. Elle ne se voit que comme les bouts de sa chair qui circulent en photo sur les réseaux sociaux. Elle perd peu à peu son humanité dans ses propres yeux. Elle, la victime, se retrouve à s’effacer, à effacer sa place en tant qu’être humain. Elle se coupe des autres, du monde, de sa personnalité, de ce qu’elle est. Elle regrette. Elle voudrait tout effacer. Ce n’est même pas le viol en lui-même, son agression, qu’elle souhaite effacer, mais toutes les conséquences qui en découlent.
Et c’est là le cœur du roman. Nous vivons dans une société où l’on apprend aux femmes à se protéger des violeurs plutôt que d’apprendre aux hommes qu’il ne faut pas violer. On doit être constamment sur nos gardes parce que la société est incapable d’expliquer aux êtres humains que le corps des femmes n’est pas un objet public dont on peut user et disposer à l’envie. Emma ne se considère plus que comme un bout de viande. Quand elle se regarde dans le miroir, tout ce qu’elle voit, c’est les photos en gros plan de son corps, ces parties dissociées. Elle ne se sent plus entière, elle n’est que des morceaux assemblés qui lui ont été pris par ces hommes, ces garçons qu’elle connait bien, en qui elle avait confiance.

Emma est la méchante de cette histoire dans le regard des autres, elle est celle qui fait naître le scandale, celle qui a trop bu, celle qui allume, celle qui mérite ce qui lui arrive. Et c’est révoltant. C’est révoltant parce que, sous couvert de fiction, c’est ce qui arrive tous les jours, c’est ce qu’on dit aux femmes. Même sous la compassion il y a ces mots, ces phrases « Mais tu devais bien te douter qu’il y avait un problème » « Tu n’aurais pas dû t’habiller comme ça » « Tu vois, à force de te frotter à des inconnus… »
Une fille facile dénonce tout ce qui fout la gerbe dans notre société soi-disant évoluée. Une fille facile nous rappelle encore que la victime est bien plus jugée que le ou les agresseurs. Parce que porter plainte, subir les interrogatoires, le procès, l’exposition de sa vie privée, de son intimité… C’est autant d’obstacles à la dénonciation que de conséquences d’une agression sur une personne. Parce qu’elle a été violée Emma devra justifier toute sa vie chacun de ses actes avant et pendant cette soirée, même après. Alors que ce sont les agresseurs les bourreaux, les coupables. Être une victime c’est voir sa parole remise en cause, c’est revivre sans cesse la scène à mesure qu’on doit la raconter, c’est devoir affronter encore et encore un souvenir déchirant, c’est devoir rappeler inlassablement que c’est l’agresseur le coupable, celui qui a agi sans consentement.

La fin de ce roman est un coup dans le cœur mais elle est criante de réalité : en Irlande, les agresseurs s’en sortent souvent. Rappelez-vous le procès récent où un violeur a été acquitté parce que sa victime portait un string ? Et il n’y a pas qu’en Irlande que cela arrive. Pourquoi ? Parce qu’on élève filles et garçons en leur faisant croire que le viol c’est l’inconnu bizarre qui va t’entraîner dans sa cave. On tait le fait que, dans la majorité des cas, le viol est commis par quelqu’un qu’on connait, dans une situation où il n’y pas toujours de violence, avec cette foutue zone grise qui est encore un moyen de dire « oui mais peut-être que ». Une fille facile est une grosse claque qui rappelle que le monde dans lequel on vit ne tourne pas rond, que le corps des femmes reste un appel au sexe quelle que soit notre tenue et que, quoi qu’il arrive, on est toujours un peu coupable de ce qui nous arrive dans les yeux des autres. Une fille facile me pousse à toujours plus parler de féminisme, à rappeler aux gens, hommes comme femmes, que le consentement c’est pas compliqué, que tant que des romans comme celui-là reflèterait encore la réalité il faudra se battre.
Une fille facile est un roman fort parce que tout est fait pour que l’héroïne agace au début, pour que le lecteur en vienne à se dire à un moment « mais qu’elle est conne » dans le but de lui rappeler que personne ne mérite ça. Personne. Pas même les gens qui nous irritent, pas même ceux que nous n’aimons pas. Personne ne mérite de subir une agression, d’être maltraité, d’être réduit à un simple corps sans âme. Personne ne mérite d’être une victime que l’on place ensuite sur l’échafaud pour l’ériger en coupable.

Une fille facile est à mettre entre toutes les mains des personnes qui pensent encore qu’on se fait violer uniquement parce qu’on l’a bien cherché. C’est un roman à lire pour comprendre à quel point réduire une personne à l’état d’objet lui fait oublier qu’elle est un être humain avant. C’est un roman à lire pour ne pas oublier que le chemin à parcourir est encore long.

Et je vous laisse trois citations montrant l'essentiel (même si il y a encore des tas de passages significatifs à relever) :

« Les jupes au ras des fesses , les hauts échancrés jusqu'au nombril, et elles boivent toutes trop et trébuchent dans les rues, elles poussent au crime, et quand ce qui doit arriver arrive, elles se plaignent et se mettent à pleurnicher. Comme disait votre autre intervenant, à quoi d'autre peuvent- elles s'attendre ? »

« C’est dommage qu’Emma ait eu plus de dix-huit ans à l’époque sinon, il auraient pu être poursuivis pour possession et diffusion d’images pédophiles. Tellement plus simple à prouver que le problème du consentement. »

« On téléphone pour dire que je l'ai bien mérité. On dit que je l'ai bien cherche. Dans un premier temps, ca m'a fait mal d'entendre ce qu'on disait de moi. J'ai beaucoup pleuré au début. Je ne devrais probablement pas écouter. Mais personne ne me racontera rien. J'ai l'impression en permanence de finir un puzzle avec quelques pièces manquantes. »


Les avis des Accros & Mordus de Lecture

dimanche 30 décembre 2018

La fabrique du monstre de Philippe Pujol

Je me rends compte que lorsque je suis touchée par un livre, lorsqu'il fait vibrer mes convictions, mon avis devient plus long, plus personnel, moins tourné vers la chronique littéraire et plus vers l'exercice du partage de l'effet viscéral qu'il a eu sur moi. La fabrique du monstre est de ce livres qui m'ont touchée et qui m'ont marquée d'une façon telle que, même des mois après, je suis capable de disserter dessus sans m'arrêter.



Quatrième de Couverture
Philippe Pujol, prix Albert-Londres 2014, s’est fondu pendant dix ans dans le quartier le plus pauvre d’Europe, à Marseille.
Il sait fabriquer du cannabis coupé à l’huile de vidange. Il pénètre les HLM immondes, dégradés à dessein, où se pratique un culturisme stéroïdé, et repère les gosses guetteurs ou les nourrices planquées. Il se penche avec les flics de la BAC Nord, désabusés, sur les cadavres de minots de 20 ans assassinés, une Rolex à 5 000 euros au bras. Il écoute les plaintes des mères qui noient leur temps dans l’alcool et les médicaments.
Depuis 2004, il est l’un des rares à faire corps avec cette inhumanité-là. En toile de fond de cette grande misère, il décortique le système qui gangrène la région PACA : grand banditisme, corruption, clientélisme, conflits d’intérêts autant de facteurs qui d’année en année, contribuent à fabriquer ce monstre.

Mon avis
Mon livre contient encore quelques grains de sable récoltés involontairement au cœur des calanques où j’ai lu ce livre avec avidité cet été, savourant mes derniers moments marseillais tout en me plongeant dans le chaos qui anime cette ville que j’ai aimé fort pendant trois ans.

Philippe Pujol est ce qu’on peut appeler un spécialiste des quartiers nords de Marseille, ces quartiers utilisés par la presse nationale pour faire frémir les gens et leur faire croire que Marseille est une ville dangereuse, sournoise, vulgaire aussi. Philippe Pujol est de ces personnes qui vont au fond des choses, qui creusent pour montrer l’envers du décor et, surtout, ceux qui actionnent les ficelles auxquelles sont pendues les marionnettes misent sur le devant de la scène.

Marseille, c’est une ville vivante, une ville chantante, où la Bonne-Mère surplombe tout le monde, les forts comme les faibles, les voyous étiquetés comme ceux couverts de paillettes et de vernis. La Bonne-Mère les protège tous sans distinction, s’élevant au-dessus de chacun. Même moi, en tant qu’athée, j’aimais chercher Notre-Dame de la Garde dès que je posais le pied à Marseille, comme un petit rituel rassurant, et je souriais à chaque fois que je la regardais, même quand ça n’allait pas.
Et la Bonne-Mère est bien la seule des sommets à exercer sa bienveillance sur les Marseillais. C’est là tout le tragique de cette ville.

En commençant par nous décrire la misère des quartiers nords, Philippe Pujol creuse doucement la surface. On rencontre des gens qui cherchent à survivre, des anciens qui ne reconnaissent plus les méthodes violentes des voleurs d’aujourd’hui, des jeunes qui n’ont pas d’autre choix que d’entrer dans les réseaux de deal pour être, ironiquement, « tranquilles », des parents qui ont perdu la chair de leur chair dans une guerre de territoire où l’herbe et la résine côtoient sans problème poudres et produits plus liquides. Quand le jeune dealer amasse de quoi se payer le dernier Iphone, persuadé d’atteindre le sommet, il ne voit pas que le haut de la pyramide s’achète un nouveau palace dans un pays où il ne mettra jamais les pieds. Parce que c’est ça, Marseille. Ce n’est pas le petit dealer qui cultive son herbe dans son jardin et qui vend son surplus, c’est le gros magnat, comparable à un actionnaire du CAC40 qui possède tellement d’employés qu’il pourrait faire pâlir les plus grosses boîtes du pays grâce à son bénéfice net. Et ces têtes de file, personne ne les connait. Une chose est sûre, elles ne sont pas dans les quartiers et leurs hauts-gradés fidèles donnent déjà un aperçu de l’argent que génère la drogue. Il y a trente ans déjà, les enquêtes de police sur les réseaux de drogue étaient stoppées net dès que ça commençait à remonter dans les sphères de l’état, dès que ça passait la limite (cette source m’est personnelle, à vous de me croire ou non).
Ces Marseillais parqués dans les quartiers nords, à qui l’on offre que de fausses solutions pour s’en sortir permettent à ceux qui s’en mettent plein les poches d’obtenir ce qu’ils veulent : les soulèvements, les violences, les casseurs… Il faut de bons pions pour leur monter la tête et leur dire « regardez, ils vont nous prendre le peu que nous avons, il faut aller casser ici, ne les laissez pas faire ». Et le lendemain, ces mêmes personnes se pointent et demandent : « Avez-vous besoin d’un service de sécurité privé pour éviter qu’on ne vienne encore visiter votre chantier ? J’en possède un, c’est bien pratique. » Marseille, c’est comme ailleurs : on se sert de la misère du monde pour parvenir à ses fins.

Puis, ensuite, au milieu du carnage que les fondations de la pyramide subissent pour enrichir des gens qu’ils ne connaissent pas, comme dans le monde de la légalité finalement, Philippe Pujol creuse un peu plus et nous montre jusqu’où la gangrène s’est frayée un chemin : dans chaque administration, dans chaque arrondissement, dans chaque mairie. Comme dans une guerre, les soldats, ces revendeurs des quartiers nords, sont la chair à canon et les figures publiques qui dénoncent à tour de bras cette violence sont finalement tout autant impliquées dans la guerre, mais jouant de loin, déplaçant simplement des pions sur une carte.

Il creuse Philippe Pujol, encore et encore, en nous décrivant le monde politique de Marseille pourri jusqu’à la moelle, où même les élus issus des plus basses classes sociales en viennent à oublier leurs origines pour vivre dans ces tours d’ivoire qu’on leur propose. Et si possible, avec piscine au bord de la Corniche, évidemment. Ce monde politique où d’anciens du FN peuvent gentiment se revendiquer du PS tout en organisant encore des petites sauteries avec les copains aux idées flirtant avec le nazisme (et ce n’est qu’un euphémisme), ce monde politique où il faut laisser les quartiers populaires tomber en ruines pour ensuite tout raser et reconstruire pour une population bourgeoise qui dénature peu à peu l’âme de Marseille.

C’est là qu’on peut mesurer l’ampleur de la situation, surtout récemment avec la tragédie de la rue d’Aubagne, où des morts ne font que rendre les Marseillais plus engagés encore face à un maire qui continue de fermer les portes de la discussion et de l’élan solidaire. On laisse le centre s’enliser dans l’espoir de virer les gens pour cause d’insalubrité et accueillir ensuite des immeubles de standing. On regrette d’avoir laissé les épiceries et les kebabs s’installer sur la Canebière parce que, bon, maintenant, il faudrait quand même que les touristes y trouvent le luxe à la hauteur de leurs moyens. Merci Gaudin.

Marseille est une ville de la diversité, de l’entraide, du militantisme, de la tolérance et c’est tout ce qu’on ne montre jamais à la télévision. Il faut avoir passé du temps dans les rues de la ville, dans ses quartiers chaleureux pour le savoir, il faut avoir croisé la route de vrais Marseillais qui ne quitteraient jamais leur belle ville, de ces non-Marseillais qui ont décidé d’y faire leur vie après en être tombés amoureux. De ces gens de passage, comme moi, qui en gardent un souvenir merveilleux, qui sont passés du scepticisme à l’amour total pour une ville chargée d’histoire et de joie de vivre. Mais cette joie de vivre ne peut perdurer que si l’on y laisse les gens vivre.

Il aura fallu que je sois sur le départ pour enfin découvrir la plume de Philippe Pujol et je ne regrette rien, si ce n’est que je vais devoir acheter ses autres ouvrages tellement ce qu’il propose me transporte. Prise aux tripes, je n’ai pas réussi à lâcher ce livre avant la fin et j’y ai retrouvé des « faits divers » lus à l’époque dans les journaux mais, cette fois, chargés de l’histoire de fond et de la réalité du fatalisme vécu par les habitants des quartiers, nords ou centre finalement.

Découvrez Marseille, aimez-la ou détestez-la, mais plongez dans son histoire à travers le travail de Philippe Pujol. Vous perdrez peut-être un peu de votre foi en l’humanité d’un côté mais vous y gagnerez paradoxalement un peu de tolérance et une envie de changer les choses. Vous comprendrez un peu mieux cette Marseille militante qu’on ne montre que trop peu sur les chaînes nationales, de peur que cette solidarité et cet engagement se propagent partout en France.

« La violence, la drogue, l’affairisme, les magouilles, la corruption, le béton, l’élection, le racisme… Pour la France, et d’autres pays qui s’intéressent à nous, Marseille est une aventure à elle seule, sans avoir besoin de voyager. Elle constitue aussi une sorte de soupape de sûreté pour libérer la pression trop forte des problèmes refoulés dans l’Hexagone.
Comme si elle était seule, comme si elle était l’exception, comme s’il fallait accepter, fataliste, la figure du monstre.
« C’est pas pareil, c’est Marseille. »
Pourtant, non. La plus jolie ville de France ne cache pas ses blessures. Elle est sincère. C’est tout.
Cette ville n’est tout simplement que l’illustration visible des malfaçons de la République française.
»

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

samedi 29 décembre 2018

Nickel Blues de Nadine Monfils

Une chronique floue pour une lecture qui ne m'a pas emballée plus que ça et qui date de cet été (oui j'ai presque six mois de retard, so what ?). J'avais quand même envie de poster une chronique parce que j'avais le bouquin sous les yeux, dans la pile des livres lus cette année et que j'ai envie de terminer l'année 2018 sous le signe de la productivité !



Quatrième de Couverture
Ça se passe en Belgique. Deux ados, Ralph et Tony Boulon, décident de ne pas accompagner leurs parents en vacances. Après un mois de nouba dans le pavillon familial, les deux frères se réveillent complètement dans le cirage. Ils découvrent la maison sens dessus dessous : la baignoire est remplie de vaisselle, des capotes pendent au lustre et le canari est retrouvé calciné dans le four ! Seul Bubulle, le poisson rouge, est sauvé in extremis, surnageant dans des eaux douteuses. Gros problème : les parents rentrent le lendemain et les frangins ont une touffe de poils dans la main. L'aîné a soudain une idée géniale : kidnapper une nana du coin pour faire le ménage. Mais les choses ne se passent pas exactement comme prévu, Ralph et Tony se retrouvant embarqués malgré eux dans une aventure rocambolesque.

Humour noir et suspense sont au rendez-vous de ce roman jubilatoire dont on ressort essoufflé et réjoui.

Mon avis
L’écriture de Nadine Monfils est toujours aussi incisive et divinement accrocheuse, les répliques de ses personnages sont toujours aussi drôles mais, comme je m’en suis rendu compte avec La petite fêlée aux allumettes, j’ai eu ma dose. Toujours autant d’absurde dans ses histoires, ses personnages, le fil des enquêtes et c’est ce qu’on aime dans ses bouquins mais je n’accroche plus.

À travers des personnages tous plus tordus que les autres, Nadine Monfils nous offre un spectacle où il est difficile de différencier la queue de la tête, si on les trouve, et montre une nouvelle fois que de l’absurde peut naître un roman divertissant, drôle et véhiculant aussi deux trois messages grâce à ses stéréotypes dont on raffole.

Je ne suis plus intéressée par ce qu’elle propose mais je me dis que, si l’envie de lire ce genre revient un jour, c’est clairement vers ses romans que je me tournerai parce que j’aime son écriture même si parfois elle m’exaspère. Nadine Monfils est bonne dans ce qu’elle écrit et je sais que c’est une valeur sûre dans le domaine. Je garderai toutefois en tête, suite à cette lecture, que la série Mémé Cornemuse me plait bien plus que le reste.

Les amateurs de sa plume et son univers y trouveront sûrement leur compte (même si rien ne vaut Mémé Cornemuse en personnage principal, il faut le dire) et ceux qui aiment les histoires tordues, sans queue ni tête, devraient particulièrement apprécier ce qu’elle fait. Une lecture à prendre au trouzemillième degré.

« Sa grand-mère, c’était son Bon Dieu, son nez de clown, son ciel d’étoiles. Et il l’aimait « grand du ciel », comme il lui disait quand il était petit. Il savait que le jour où il la perdrait, il grandirait d’un coup, parce qu’il se sentirait seul dans « son monde », celui qu’elle avait toujours partagé avec lui. Un monde qui flottait au-dessus de la terre, dans une bulle bleue. »

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dimanche 16 décembre 2018

Réflexions sur le procès de la reine de Madame de Staël

J’ai beaucoup entendu parler de Madame de Staël comme l’une des pionnières du féminisme et je n’ai pas hésité à acheter ce livre, publié aux éditions Mercure de France. La collection petit mercure est d’ailleurs très intéressante puis qu’elle met en lumière des textes courts, souvent inédits et choisis par des spécialistes. Ici, c’est Chantal Thomas, chercheuse au CNRS, qui a choisi Réflexions sur le procès de la reine.



Quatrième de Couverture
Coquette, frivole, dépensière, mauvaise épouse, mauvaise mère, perverse, cruelle, sanguinaire, Marie-Antoinette, l'«Architigresse d'Autriche», responsable de tous les maux du royaume, doit mourir. Réflexions sur le procès de la reine, publié en août 1793, tente de mettre un frein à la folle logique de ces calomnies. Ce texte témoigne d'une prise de conscience féministe au nom du pur scandale de l'injustice.

Mon avis
Publié en août 1793, ce texte de Madame de Staël a pour but de défendre Marie-Antoinette, qui est la cible de toute la haine que le peuple a besoin d’exprimer envers la royauté qu’il a fait tomber à terre. Troublée puis révoltée par les accusations injustes envers Marie-Antoinette, Madame de Staël a voulu, anonymement, rappeler qui était réellement la reine, comment elle avait été accueillie et en quoi la juger pour le fait d’être une femme placée au sommet via un mariage de raison était injuste. Ce texte, dont elle a été rapidement identifiée comme l’autrice, a rapidement été décrié : après tout, Madame de Staël n’était-elle pas de ces privilégiés contre qui le peuple se battait ?

Le texte est chargé d’émotion, on sent le désarroi de l’autrice, sa volonté de bien faire, de demander la clémence et le recul face à une femme qui a toujours fait ce qu’on attendait d’elle. Madame de Staël en appelle à la raison des accusateurs tout en jouant avec la pitié. Et là, elle m’a perdue. Je m’attendais à une défense réellement féministe, j’ai surtout vu un appel à l’indulgence pour une femme qui avait des enfants, et aussi une tentative de manipulation. Madame de Staël explique aux détracteurs que condamner la reine risquerait de révolter le peuple qui considérerait cet acte comme cruel. Elle leur demande d’être raisonnable, compréhensif et de ne pas verser dans la cruauté inutile.

Finalement, j’ai lu ce texte en attendant un féminisme tel que celui de notre époque et j’ai été assez déçue de ce que j’ai découvert. Oui, c’est une forme de féminisme, mais un féminisme encore enrobé dans un trop plein d’oppression dû à l’époque. Marie-Antoinette est réduite à son rôle de femme, de mère et, en même temps, qu’est-ce que Madame de Staël pouvait faire de plus ? C’était déjà une belle avancée à l’époque de voir une femme écrire et prendre part aux idées politiques de son temps. Un texte qui reste à lire pour voir le chemin que l’on a parcouru et celui, bien trop long, qui nous reste à tracer.

Il ne me reste qu’à découvrir la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges datant de cette même période de notre Histoire.

« Ah ! Si vous craignez la reine parce qu’on l’aime davantage, c’est elle cependant dont la liberté, dont le séjour hors de France vous serait le moins redoutable ; il est des obstacles qui peuvent irriter l’ambition, mais les malheurs que Marie-Antoinette a éprouvés détrompent des hommes et de la vie ; au sortir du tombeau l’on n’aspire pas au trône, et de si longues infortunes ôtent presque jusqu’au besoin du bonheur. »

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

samedi 15 décembre 2018

Ma mère se cachait pour pleurer de Peter Stephen Assaghle

Ma mère se cachait pour pleurer est un livre que m’a prêté une amie gabonaise pour que je découvre encore un peu plus la littérature de son pays, après m’avoir fait lire un classique de chez elle. Un pas de plus vers de nouvelles histoires, de nouveaux points de vue et des personnages qui ont beaucoup à offrir.



Quatrième de Couverture
Ma mère se cachait pour pleurer (pour mourir pourrait-on dire) est un texte d’une théâtralité incroyable et aux rebondissements inattendus, qui invite à s’interroger, à s’offusquer, en même temps qu’à s’examiner sur les tabous de notre société tels que les grossesses précoces, l’inceste, l’adultère à l’intérieur des familles, le mauvais œil, le poids des échecs, l’exil forcé (du cœur et de l’âme)…

Mon avis
Ma mère se cachait pour pleurer est un livre que m’a prêté une amie gabonaise pour que je découvre encore un peu plus la littérature de son pays, après m’avoir fait lire un classique de chez elle. Un pas de plus vers de nouvelles histoires, de nouveaux points de vue et des personnages qui ont beaucoup à offrir.

Fam est un adolescent, pas tout à fait un homme, qui découvre les joies de l’amour physique grâce à Rita, la belle et douce Rita pour qui il développe un amour sans limite. Seulement, Rita traîne une réputation de fille facile, une fille que beaucoup d’autres jeunes garçons disent avoir déjà couchée sur un lit. Pourtant, ce n’est pas le cas, elle est simplement la fille qui ne dément pas si on ne lui pose pas directement la question et nombreux sont ceux qui en profitent pour se faire mousser dans le quartier.

Rita a aussi une vie tout sauf Rose. Une grossesse prématurée vient mettre en lumière la réalité de son quotidien, de la façon dont la traite sa belle-mère, Olouna, aux abus qu’elle subit de la part de son père. Rita est l’incarnation de l’âme pure blessée par la vie mais qui garde espoir, qui tient cet espoir de vie meilleure, capable d’aimer malgré tout. Fam n’est qu’un enfant finalement à côté d’elle, un petit garçon qui découvre toute la réalité du monde, de son entourage, de l’horreur dont sont capables certains êtres humains. Il est cet être naïf, maladroit aussi, parfois blessant, qui apprend et se construit à travers les épreuves.

Mais ce livre n’est pas simplement l’histoire de Rita et Fam, il est aussi celle de la mère de Fam, comme l’indique le titre, cette femme forte, digne, qui subit l’infidélité de son mari et qui encaisse jusqu’à ce que les choses aillent trop loin. Mais trop loin dans quel sens ? Et pour qui ?

Parce que, finalement, ce livre est une illustration de la condition des hommes et des femmes, la mise en lumière des travers de l’Humanité dans une société gabonaise qui a ses codes, ses préjugés, ses traditions… Tout en restant similaire à ce qu’il se passe ailleurs. Partout dans le monde il existe des parents qui abusent de leurs enfants. Partout dans le monde il existe des personnes qui réussissent à obtenir des faveurs grâce à leurs réseaux. Partout dans le monde les femmes sont élevées de sorte à voir en chaque autre femme une rivale potentielle avant d’y voir une alliée. Nous devrions être sœurs avant tout et la société nous oppose, et pas dans le travail ou encore les loisirs, non, mais face aux hommes. Critiquer une femme sur sa tenue, sur ses mœurs, ses choix, ses goûts… Et quelque chose qui nous semble naturel, qui nous permet même de nous rapprocher des hommes.
« J’ai plus d’amis garçons que filles, parce que les autres filles elles sont trop méchantes entre elles. » Combien de fois avons-nous entendu ou même prononcé cette phrase ? Elle n’a pas une origine biologique mais bien culturelle. On grandit dans un monde où les femmes doivent rivaliser pour plaire, pour sortir du lot. « Plus de ceci, moins de cela, sois belle mais sois aussi intelligente parce que juste belle, tu ne feras pas long feu… » Et c’est aussi ça que j’ai vu à travers ce livre, ce qu’on attend des femmes. Très fortes et caractérielles pour tenir un foyer, assez dociles pour faire des sacrifices, capables du pire pour l’amour d’un homme, belles mais pas vulgaires, intelligentes mais pas trop non plus… La Femme est la figure forte de ce livre, là où l’Homme est celui qui faillit régulièrement. Mais à quel prix ? Celui de la résilience. Et si cela semble beau, ça ne l’est pas tant que ça puisque nous vivons dans un monde où plutôt que d’apprendre aux gens à ne pas blesser, on apprend à encaisser. Au lieu de s’abandonner à la vie on se protège au fil des épreuves, jusqu’aux prochaines.

L’Humanité est pleine de failles et c’est ce qu’illustre Ma mère se cachait pour pleurer, notamment à travers les secrets, les trahisons et les sévices. Mais ce livre offre aussi un espoir qui, s’il n’est pas l’idéal que l’on voudrait, permet de continuer à vivre et d’atteindre, peut-être, des moments de bonheur suffisamment forts et nombreux pour ne pas se laisser abattre.

Avec son premier roman, Peter Stephen Assaghle a réussi à capter mon attention malgré quelques maladresses d’écriture. Il m’a embarquée dans son univers et je suis bien contente d’avoir tournée les pages de son livre.

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

samedi 8 décembre 2018

Nous sommes tous des féministes de Chimamanda Ngozi Adichie

Je suis tombée amoureuse de la plume de Chimamanda Adichie lorsque je me suis plongée dans Americanah pour la LC sur Accros & Mordus de Lecture et c’est avec passion que j’ai lu Nous sommes tous des féministes dont j’avais beaucoup entendu parler et que j’ai ouvert le jour de la lutte internationale pour la fin des violences envers les femmes. J’aime me mettre dans l’ambiance.



Quatrième de Couverture
« Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j’aimerais aujourd’hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement. »

Chimamanda Ngozi Adichie aborde le sujet controversé du féminisme avec lucidité, éloquence et humour.

Mon avis
Nous sommes tous des féministes est la première partie du bouquin, une transposition d’une conférence TED que Chimamanda Adichie a donné en 2012. À travers son expérience de jeune femme noire, Nigériane et indépendante, elle décrit la condition de la femme, les réactions des gens autour d’elle et les idées reçues qu’il est important de déconstruire.

Il m’est difficile d’écrire une chronique détaillée sur cet essai tant j’ai surtout en tête les mots de l’autrice et où les paraphraser me semble inutile. Je préfère donc citer quelques passages (j’avoue avoir envie de tout citer) pour mettre en lumière cette voix qui me fascine.

« Nous apprenons aux femmes que, dans le couple, c’est plutôt à elles de faire des concessions.
Nous apprenons à nos filles à considérer les autres filles comme des concurrentes, non dans le travail ou pour se réaliser – ce qui serait une bonne chose à mon avis – mais pour susciter l’intérêt des hommes.
Nous apprenons à nos filles que leur sexualité n’est pas comparable à celle des garçons. Si nous avons des fils, nous ne nous formalisons pas de les entendre évoquer leurs petites amies. Mais les petits amis de nos filles, Dieu nous garde ! (Ce qui ne nous empêche pas d’attendre d’elles qu’elles ramènent, le moment venu, un mari idéal à la maison.)
Nous contrôlons nos filles. Nous portons aux nues leur virginité, mais nous ne portons pas aux nues celles des garçons (comment est-ce censé fonctionner, je me le demande, vu que la perte de virginité implique deux êtres de sexe opposé).
»
(Je rappelle qu’il s’agit là d’un passage traitant de la différence homme/femme dans le cas d’une relation hétérosexuelle.)

Cette citation me parle, elle rappelle le sexisme ordinaire, qui vaut tant pour les femmes que pour les hommes, qui oppose la femme virginale à l’homme viril. Ces cases dans lesquelles on nous met uniquement à cause de notre genre, de si l’on naît avec deux XX ou le duo XY.
Et ce rappel à la concurrence, tellement vrai, tellement triste aussi. Cette phrase qui met en évidence la réalité de notre société, en France comme ailleurs, comme au Nigéria : les femmes sont vouées à s’affronter pour les hommes. Il y a ces femmes qui misent tout sur le physique pour être éphémère dans la vie des hommes, et celles qui restent naturelles pour devenir la bonne, l’élue ensuite, une fois que les hommes ont fini de s’amuser et sont prêts à se ranger. L’inverse n’est jamais vrai dans la tête des gens qui pensent ainsi, ces gens qui ne se rendent même pas compte de l’horreur de ces propos, de cette façon de voir les choses.
C’est aussi en ça que le féminisme est important, parce qu’il nous aide, nous, les femmes, à nous soutenir et pas à nous opposer, il nous pousse à nous propulser vers le haut et pas à essayer de nous faire tomber de cette échelle de l’égalité que nous cherchons à gravir depuis la nuit des temps.

« Certains me demandent : « Pourquoi employer le mot féministe ? Pourquoi ne pas vous contenter de dire que vous croyez profondément aux droits de l’homme, ou quelque chose comme ça ? » Parce que ce serait malhonnête. Le féminisme fait à l’évidence partie intégrante des droits de l’homme, mais se limiter à cette vague expression des droits de l’homme serait nier le problème particulier du genre. Ce serait une manière d’affirmer que les femmes n’ont pas souffert d’exclusion pendant des siècles. Ce serait mettre en doute le fait que ce problème ne concerne que les femmes. Qu’il ne s’agit pas de la condition humaine mais de la condition féminine. Durant des siècles, on a séparé les êtres humains en deux groupes, dont l’un a subi l’exclusion et l’oppression. La solution à ce problème doit en tenir compte, ce n’est que justice. »

C’est comme dire que les choses sont mieux aujourd’hui qu’avant. C’est vrai mais cela n’empêche pas le problème d’exister encore. Je ne compte plus les gens de mon entourage, beaucoup d’hommes mais aussi des femmes, qui me viennent me dire en quoi le « féminisme » les dérange. Ils passent du temps à justifier le fait qu’ils ne sont pas contre les droits des femmes mais que, pour eux, le terme « féminisme » sonne comme un acte de guerre, comme une façon de venir taper sur les hommes pour de faire une place. Ce n’est pas taper sur les hommes que de demander d’être sur le haut de l’échelle, à leurs côtés. On ne leur demande pas de sauter pour nous laisser la place mais de se décaler pour la partager. Et se décaler, ça, ils ne comprennent pas, ils ne comprennent pas parce qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils prennent toute la place alors qu’il y en a assez pour deux : on ne leur a pas appris à prendre une seule place dans un espace où il y en a pour deux. Et c’est là le cœur du problème, chose que Chimamanda Adichie soulève en parlant d’éducation, en rappelant qu’il faut apprendre aux garçons comme aux filles ce qu’est l’égalité et pourquoi il n’y a pas de différence de traitement à avoir.

« Okoloma avait raison de me qualifier de féministe ce jour-là, il y a bien longtemps. Je suis une féministe.
Et quand il y a tant d’années, j’avais cherché le sens du mot dans le dictionnaire, j’avais lu :
Féministe : une personne qui croit à l’égalité sociale, politique et économique des sexes.
D’après ce qu’on m’a raconté sur elle, mon arrière-grand-mère était féministe. Elle s’est enfuie de la maison de l’homme qu’elle ne voulait pas épouser et a épousé l’homme de son choix. Elle ne se laissait pas faire, elle protestait et élevait la voix si elle avait l’impression d’être spoliée au prétexte qu’elle était une femme. Ce n’est pas parce qu’elle ignorait le terme
féministe qu’elle ne l’était pas. La plupart d’entre nous devrait revendiquer ce mot. »

Et c’est pourquoi nous sommes tous des féministes. C’est aussi pourquoi il faut arrêter de croire que ce mot est une agression, arrêter de lui attribuer une connotation péjorative. Le féminisme est important, il est nécessaire et le sera tant que le sexisme perdurera. Il n’est pas là pour écraser les hommes, il est là pour mettre chacun sur un pied d’égalité. Il ne s’adresse pas qu’aux femmes mais à nous tous, quel que soit le genre que l’on se définit ou non, quelle que soit, ou ne soit pas, notre sexualité. Origines, niveau social, idées… Rien ne devrait s’opposer à nos choix sous prétexte que notre genre ne rentre pas dans une case définie par une société obsolète.

Le livre contient aussi un texte, Les Marieuses, traitant du mariage arrangée entre une Nigériane et un Nigérian vivant aux États-Unis. Chimamanda y décrit le fait que cette femme a de la « chance » d’avoir trouvé un bon parti, de la « chance » de pouvoir partir aux USA et qu’elle ne devrait pas faire la fine bouche sur le caractère de son mari, son passé ou ses conditions. Je ne vais pas m’étendre sur ce texte parce que c’est vraiment le premier que j’ai envie de mettre en lumière mais, comme toujours, l’autrice a su mettre le doigt sur les mots qui dérangent, les réflexions plus violentes que ce qu’on pense, les actes plus mesquins que ce qu’ils essaient de faire croire qu’ils sont.

Encore une fois, je ne peux que louer l’engagement de Chimamanda Ngozi Adichie et son témoignage. Que ce soit à travers le féminisme ou ses prises de parole sur la nécessité d’écouter chaque voix, elle me transporte à chaque fois et me pousse à écouter, à apprendre des autres. Elle me donne envie de transmettre tous ces témoignages qui sont importants, qui donnent enfin la parole à ces personnes qu’on a trop souvent fait taire.

Conférence "The danger of a single story" pour les curieux (et il faut être curieux, cliquez) !

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

vendredi 21 septembre 2018

Les Royaumes Démoniaques, Tome 1 : La Roche des Âges de Christopher Evrard

Il y avait bien longtemps que je n'avais pas pris de Service de Presse et c'est chose faite avec le retour des partenariats sur Accros & Mordus de Lecture. Merci à l'auteur pour sa confiance et à L'erreur sociale pour la partie correction !



Quatrième de Couverture
Et si vous suiviez l'histoire d'un univers où l'horreur et la violence côtoient la féerie et la beauté ?
La magie et les combats forgent la réalité au jour le jour, tandis que les légendes et mythes résonnent dans l'inconscient collectif comme des promesses d'un jour meilleur, telle la mystique roche des âges que Ciwen, un mage de foudre, recherche désespérément.

Dans une existence où le macabre fait partie du lot quotidien...
Quel est le sens de la vie ?
Quelle signification donner à des concepts comme l'amour et la haine, ou la guerre et la paix ?
Comment les définir et les dépasser ?
Tant d'éternelles énigmes qui se posent à chaque instant, les réponses apparaissant dans le noir, telles des lucioles fuyantes.

Mon avis
Le premier tome des Royaumes Démoniaques nous entraîne dans une quête haletante à la poursuite d’un idéal qui se heurte aux prémices d’une guerre qui changera sans aucun doute possible la face du monde.

Il y avait bien longtemps que je n’avais pas lu un roman de fantasy, dans un style épique, chargé de différentes thématiques. Classé plutôt en dark fantasy (une première pour moi), ce premier tome explore les recoins d’un monde à travers ses peuples, ses relations dominants–dominés, ses mystères et surtout, sa magie ancestrale oubliée. Visiblement, le schéma choisi se rapproche des imbrications que l’on retrouve dans les jeux vidéo épiques mais ça, je ne peux le confirmer, n’étant pas du tout joueuse. Par contre, ce que je peux vous dire, c’est que les ingrédients pour une telle saga comme on l’imagine quand on est une noob comme moi sont là et sont efficaces.

Le prologue ne m’a pas mis l’eau à la bouche : il est bien trop vague, trop flou pour servir d’entrée en matière à mes yeux mais sans que cela soit un problème pour moi. J’aime à revenir au prologue en fin de lecture, une fois l’histoire intégrée pour prendre pleinement conscience de la mise en place du suspense. Attention cependant, le tome 1 ne m’a pas permis de comprendre l’ensemble du prologue : j’ai quelques clés mais le voile n’est pas suffisamment levé sur cette mise en bouche, ce qui pousse à se poser de nouvelles questions sur l’intrigue.
Ce prologue peut sûrement rebuter des lecteurs, car très descriptif, mystérieux et trop peu révélateur du contenu du roman mais il ne faut pas s’en contenter. C’est en se glissant peu à peu dans le premier chapitre que tout commence, que le goût de l’aventure nous étreint et nous pousse à plonger tête baissée dans l’histoire aux côtés de Ciwen, notre compagnon de route.

Mage de foudre, Ciwen est un personnage marginal dans un monde qui semble codifié, où chacun a sa place. D’un caractère aussi explosif que ses capacités magiques, il agace par son manque de réflexion en même temps qu’il nous touche par ses idéaux naïfs, presque enfantins. Et c’est l’impression générale qu’il donne : un homme bourru, forgé par une vie tout sauf facile, aussi loin que ses souvenirs remontent, et rêvant d’un monde plus doux, sûrement pour permettre à l’enfant qui n’a pas pu profiter de l’insouciance des jeunes années de se reposer enfin. Beaucoup de personnages autour de lui en savent plus sur qui il est que lui-même, plus sur les raisons de sa présence ici que ce qu’il imagine. Et il a un peu ce côté Harry Potter finalement, ce héros malgré lui à qui personne n’ose dire l’étendue de la quête qui l’attend (que ce soit pour son bien pour leur propre intérêt). Il incarne plutôt bien ce héros de quête épique, mystérieuse, à qui on se lie progressivement.

Ce grand enfant aux pouvoirs dévastateurs qu’est Ciwen évolue aux côtés de différents personnages, qu’ils soient alliés ou opposants francs, compagnons intéressés ou naturellement attirés par lui. De Torwha, l’araignée géante ancestrale à Taskem, un nain comme on les aime dans ce type d’univers, en passant par Olivia, l’ondine aux lourdes épreuves passées, les personnages qui œuvrent pour une cause qui nous touche ne sont pas manichéens et c’est agréable. Ils sont à classer du côté du « bien » mais sans être des images de sainteté, sans être infaillibles non plus. C’est un aspect auquel je tiens dans mes lectures et que j’ai beaucoup apprécié. Pour ce premier tome, seul le but des démons et de la « hiérarchie » au-dessus reste trouble, non expliqué pour l’instant, et donne une impression de manichéisme bien stéréotypé. Je ne sais pas ce qu’il en sera dans la suite mais mon amour des nuances de gris entre le blanc et le noir me laisse espérer qu’il y aura quelque chose de plus profond derrière.

Sur la construction des personnages, il y a un bon travail de fait, j’ai simplement tiqué sur certains dialogues de Ciwen mais, avec du recul, mon interprétation personnelle du personnage peut coller avec ce point. Pour un personnage n’ayant pas eu une vie normale, encore moins facile, avoir des réactions orales excessives n’est pas incohérent. Par contre, j’ai plus de mal à saisir Olivia, notre ondine, et c’est sûrement parce qu’elle-même ne sait pas réellement qui elle veut devenir et sur quelle voie elle doit se lancer. Elle se cherche entre vengeance et devoir, se perd en réactions et convictions qu’elle doit ajuster à la réalité de la situation et de ses responsabilités.

L’intrigue devient rapidement prenante, nous plongeant dans un monde où écraser les plus faibles semble être le maître-mot, où l’espoir a quitté la plupart des êtres vivants et où les choses empirent d’un coup sans que personne ne sache par quel bout prendre cette situation. Les combats paraissent réalistes, l’auteur n’a pas peur d’empiler les cadavres pour servir son histoire et certains détails poussent même à l’écœurement. Dans le bon sens du terme : les réactions physiques sont réelles juste à travers les mots, les images réalistes et crues viennent frapper l’univers magique qui n’a rien de bucolique. J’ai tendance à être émerveillée par les univers de fantasy et, ici, c’est le cas mais l’horreur qui jalonne certains événements vient me rappeler qu’il ne s’agit pas d’un conte de fées où ces créatures volantes sont mignonnes et espiègles. Ici, la guerre est lancée avec fracas sur un fond d’apocalypse à venir, avec encore de nombreux mystères dont nous n’avons pas les clés et que j’avoue avoir envie de comprendre. Pour cela, il me faudra lire la suite des aventures de Ciwen !

Il s’agit d’un livre auto-édité où la correction n’a pas ôté toutes les coquilles mais, clairement, il ne reste pas grand-chose et cela ne gêne en rien la lecture. On imagine sans problème l’ampleur du travail pour ce type d’édition et on le salue (ce n’est pas dans tous les romans auto-édités que l’on trouve si peu de coquilles, rappelons-le).

À travers ce premier tome j’ai plongé pour la première fois dans l’univers de la dark fantasy et j’ai bien apprécié ma balade. L’univers mis en forme est vraiment intéressant et l’intrigue qui s’y dessine promet pas mal de rebondissements et de frissons. Je regrette de ne pas avoir eu plus d’informations à me mettre sous la dent concernant les motivations des démons ou encore les rouages politiques de ce monde mais je pense que le tome 2 devrait permettre de saisir plus en détails ces points. N’étant pas une grande connaisseuse de ce genre littéraire, je ne saurais dire s’il conviendrait aux grands habitués mais je pense que les lecteurs appréciant la fantasy en général y trouveront leur compte.

Je remercie Christopher Evrard pour sa confiance en Accros & Mordus de Lecture pour cette lecture en avant-première.

Et en bonus, un petit aperçu des illustrations de Jenny Burgy qui accompagneront la version publiée en décembre prochain :





Les avis des Accros & Mordus de Lecture

Une version illustrée du premier tome par Jenny Burgy sera disponible dès le 6 décembre 2018.

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vendredi 7 septembre 2018

La Vague de Dennis Gansel (2008)

Encore une fois, je fais un petit article pour un film vu lors d’un visionnage commun sur Accros & Mordus de Lecture. C’est fou ce que j’aime regarder des films avec d’autres A&M, ça stimule et rend le visionnage tellement plus intéressant !



Synopsis
En Allemagne, aujourd'hui. Dans le cadre d'un atelier, un professeur de lycée propose à ses élèves une expérience visant à leur expliquer le fonctionnement d'un régime totalitaire. Commence alors un jeu de rôle grandeur nature, dont les conséquences vont s'avérer tragiques.

Mon avis
La Vague est un mouvement autocratique mis en place par un professeur d’histoire politique dans un lycée allemand : le but est de faire comprendre aux élèves en quelques jours à quel point le pays n’est pas à l’abri d’une nouvelle dictature. Seulement, l’expérience dépasse le cadre de la salle de classe et la vitesse à laquelle les choses évoluent mais surtout dégénèrent est impressionnante.

Basé sur une histoire vraie, La Vague décrit à la perfection l’écran de fumée qui obstrue la vision des adolescents devant la mise en place d’une dictature. À travers un sentiment de cohésion, d’appartenance et de fierté, les jeunes élèves ne voient pas les travers de leur mouvement tant ils sont transcendés par les effets positifs qui les enveloppent. Ils travaillent ensemble, se dévouent à une cause, constituent progressivement un club dont tout le monde veut faire partie et ils ne se rendent pas compte de l’engrainage qui accélère dans la mauvaise direction.

L’uniformisation de la pensée, du comportement mais aussi du physique prend vite racine dans cette classe et commence à s’insinuer partout dans l’école où chacun veut avoir son rôle à jouer, quitte à devoir écraser ses camarades de route. Tout s’enchaîne très vite, les choses dégénèrent en moins d’une semaine et cette accélération colle parfaitement à l’idée qui est véhiculée par ce film : il n’est pas toujours évident de se rendre compte de la situation dans laquelle on a mis les pieds, c’est la base même de la manipulation de masse.

Ce sentiment d’unité qui est la base de l’engouement des élèves est aussi salvateur que dangereux : appartenir à un groupe, se sentir soutenu, savoir que l’on n’est pas seul rassure mais pousse ici à aller toujours plus loin. Surtout pour les élèves habitués à être en marge, pour ceux aussi qui n’ont pas confiance en eux et qui tâtonne dans l’océan social qu’est un lycée. Les esprits les plus faibles semblent même être ceux qui s’engagent plus intensément dans la cause, cette cause qui devient leur cause, le sens de leur vie à une vitesse fulgurante, à la vitesse de cette vague qui rassemble chaque élève croisant sa route, prête à réunir comme à détruire.

Entrer dans le détail des personnages n’est pas nécessaire, je vais seulement aborder les rôles types joués qui sont importants dans l’avancée de l’histoire. On retrouve le sportif populaire et gentil qui est déjà dans son élément au sein d’un groupe soudé et trouve naturellement sa place parmi les leaders, sans avoir réellement à fournir un effort important. Il y a l’élève populaire drôle et d’origine étrangère, sportif lui aussi, qui se donne corps et âme à la cause pour montrer qu’il est autant intégré que les autres au système. Il y a aussi l’adolescent peu sûr de lui, qui cherche la reconnaissance et l’approbation de son professeur et qui va se révéler être le soldat sans réflexion parfait, celui qui fera tout pour recevoir de petites gratifications, celui qui a besoin d’avoir enfin une place quelque part. On retrouve aussi la fille populaire, sûre d’elle, contente d’être dans le mouvement jusqu’à ce que sa position de leader soit menacée : elle ne se pose pas de questions parce qu’elle peut perdre son « trône » mais plutôt parce que ce n’est pas le travail ou la réflexion qui permet aux autres de monter, mais bien un engagement tête baissée et des actes qui deviennent immoraux. Enfin, on retrouve aussi une multitude d’élèves/pions, voués à mettre en place une hiérarchie plutôt pyramidale et promouvant haut et fort La Vague à tous.

À travers ce film, la prise de conscience sur la rapidité de la mise en place d’un mouvement totalitariste est réelle. Même si j’ai trouvé ces adolescents peu réfléchis finalement et assez terrifiant dans leur façon de se laisser manipuler sans problème, je me dis que le tout est bien joué et bien pensé. L’Histoire nous apprend le passé, les erreurs à ne pas reproduire mais nous montre aussi à quel point l’être humain oublie très vite les limites morales entre le Bien et le Mal au profit de son bien-être : pour se sentir membre du mouvement, ces jeunes sont prêts à tout et ne réfléchissent plus volontairement.

Aujourd’hui, on se rend bien compte de la nécessité de se sentir appartenir à un groupe. Et c’est notamment pour cela que, par exemple, le football rassemble autant en France et que la dernière Coupe du Monde a créé un mouvement d’unité nationale. Il est difficile de trouver actuellement une cause politique ou idéologique qui rassemble à ce point parce que nous restons marqués par l’histoire et nous avons du mal à nous immerger dans une cause, peut-être par peur d’en oublier notre identité au profit du groupe. Mais que se passerait-il si un mouvement politique réussissait à rassembler autant que le football ? Serions-nous capable d’en saisir les mauvais côtés pour savoir quand dire stop ? Après tout, un mouvement totalitaire peut avoir les meilleures intentions du monde, une idéologie noble, le souci c’est qu’il se place au-dessus de l’humain au profit du plus grand nombre et sombre facilement dans la répression sous prétexte d’apporter « le plus grand bien ». Et il réprime sans scrupule les idées divergentes dans ce but.

La Vague rappelle donc que nous ne sommes pas à l’abri de la mise en place d’un régime totalitaire et montre même que nous tendons de plus en plus vers un retour à ce modèle actuellement, alors que le sentiment d’inégalité est de plus en plus fort et que le besoin de s’identifier à un groupe augmente. Après avoir vu ce film, on se dit que la moindre étincelle pourrait enflammer le baril, baril qui est déjà prêt à l’usage.

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

lundi 3 septembre 2018

The kissing booth de Beth Reekles (VO)

Je ne lis jamais ce genre de romance mais après avoir regardé le film du même nom sur Netflix, ma curiosité m’a poussé à tenter l’aventure pour deux raisons : le film n’était pas terrible mais fait le taff demandé (aaaah les Teen Movies qui permettent de se détendre sans réfléchir) et je n’avais jamais lu de roman Wattpad. L'avantage c'est que j'ai pu glisser cette lecture dans le Challenge Mini Pot-pourri de l'été sur Accros & Mordus de Lecture !



Quatrième de Couverture
Meet Elle Evans: pretty, popular - and never been kissed. Meet Noah Flynn: badass, volatile - and a total player. When Elle decides to run a kissing booth for the school carnival, she never imagines she'll sit in it – or that her first ever kiss would be with bad boy Noah. From that moment, her life is turned upside down – but is this a romance destined for happiness or heartbreak?

Mon avis
Elle Evans est populaire, gentille, drôle, mignonne mais n’a jamais eu de petit ami. Elle arrive à un âge où ses hormones lui donnent clairement envie de papillonner un peu mais il semblerait qu’aucun des garçons de son école ne s’intéresse à elle… Sauf qu’une rumeur court : Noah Flynn, le frère aîné de son meilleur ami, mettrait de grosses barrières autour d’elle parce qu’il la considère comme sa propre sœur.

On a donc la recette parfaite de la romance adolescente avec l’héroïne qui sait s’imposer, le meilleur ami toujours là pour les bêtises ou la consoler des coups durs et le garçon un peu rebelle, plus vieux, qui ne décroche pas plus de deux mots par phrase et qui a un regard qui appelle au crime.

J’ai lu ce livre en VO (le tout premier de ma vie d’ailleurs) et l’écriture est suffisamment simple pour être comprise sans problème. Trop simple même parfois, malgré les efforts de l’autrice pour nous trouver tous les synonymes existants décrivant le regard sombre, puis inquiet, puis les sourcils froncés, puis les sourires en coin… C’est tout ce qu’on retient de Noah Flynn, personnage dont le seul intérêt est d’être beau gosse et mystérieux… Sans réelle raison à ce mystère, autre que « Oh la la ma réputation est construite par les autres alors je joue le jeu et je ne montre pas qui je suis. » Ah, il est aussi du genre à dégoupiller facilement, parce qu’une petite dose de violence fait qu’il y a un garçon mystérieuse à rendre plus doux par Amouuuur.

Elle Evans est plus creusée, plus profonde et, heureusement puisque c’est le personnage principal de notre intrigue. Elle se crée des nœuds au cerveau parce qu’elle ne veut pas dire à son meilleur ami qu’elle sort avec son grand frère : on peut comprendre la peur de créer de la jalousie (pas une jalousie amoureuse, on est heureusement loin du triangle amoureux) parce qu’Elle et Lee (le meilleur ami en question) ont grandi ensemble depuis le jour de leur naissance (qui est le même).

Si l’histoire d’amour entre Elle et Noah fait le boulot demandé, nous donnant envie de les voir conclure en nous rappelant nos premiers émois adolescents, c’est bien la relation Elle et Lee qui est la plus intéressante. Pour une fois, dans une romance adolescente, les deux meilleurs amis sont réellement amis. Ils s’aiment d’un amour platonique vraiment chouette, n’ont aucune ambiguïté et sont là l’un pour l’autre. C’est clairement le gros point positif de cette histoire. C’est agréable de ne pas avoir de triangle amoureux vu et revu et d’avoir une réelle problématique amicale où nos deux amis sont prêts à faire passer ce lien au-delà du reste, comme un frère et une sœur. Lee martèle qu’il est prêt à larguer une fille si Elle ne l’apprécie pas, son avis comptant à ses yeux et, surtout, leur amitié fraternelle supplantant le reste. Et c’est finalement la même chose du côté d’Elle : c’est dans cette optique qu’elle ne veut rien lui dire et qu’elle finit même par expliquer gentiment à Noah qu’il ne passera jamais en premier.

Si le roman (comme le film) ne casse pas trois pattes à un canard, il se laisse lire (très vite même) et apprécier pour ce qu’il est. Je regrette quand même le côté creux de Noah même si, comparé au film (où son rôle se limite à celui d’une carpe douée de poings ravageurs), il a le mérite d’être un peu plus intéressant.

J’ai même poussé le vice jusqu’à lire la nouvelle annexe de ce livre, disponible sur Wattpad, qui raconte les grandes vacances de nos trois jeunes gens et qui rappelle bien que, pour Elle, Noah est un amour de jeunesse qui durera peut-être, peut-être pas, là où son amitié avec Lee est vouée à durer pour toujours. J’en garde donc ce qui m’intéresse : l’amour, c’est cool, mais les vrais amis, ceux avec qui on se construit, c’est quand même mieux.

À lire pour se vider la tête ou pour voir Noah aligner un mot de plus par phrase par rapport au film.

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

vendredi 31 août 2018

Le Ventre de l'Atlantique de Fatou Diome

J'aime de plus en plus découvrir des pans de l'Afrique à travers mes lectures et cette fois, c'est une partie du Sénégal qui s'est offerte à moi grâce à la plume magnifique de Fatou Diome dont j'avais si souvent entendu parler.



Quatrième de Couverture
Salie vit en France. Son frère, Madické, rêve de l'y rejoindre et compte sur elle. Mais comment lui expliquer la face cachée de l'immigration, lui qui voit la France comme une terre promise où réussissent les footballeurs sénégalais, où vont se réfugier ceux qui, comme Sankèle, fuient leur destin tragique ? Comment empêcher Madické et ses camarades de laisser courir leur imagination, quand l'homme de Barbès, de retour au pays, gagne en notabilité, escamote sa véritable vie d'émigré et les abreuve de récits où la France passe pour la mythique Arcadie ? Les relations entre Madické et Salie nous dévoilent l'inconfortable situation des " venus de France ", écrasés par les attentes démesurées de ceux qui sont restés au pays et confrontés à la difficulté d'être l'autre partout. Distillant leurre et espoir, Le Ventre de l'Atlantique charrie entre l'Europe et l'Afrique des destins contrastés, saisis dans le tourbillon des sentiments contraires, suscités par l'irrésistible appel de l'Ailleurs. Car, même si la souffrance de ceux qui restent est indicible, il s'agit de partir, voguer, libre comme une algue de l'Atlantique. Ce premier roman, sans concession, est servi par une écriture pleine de souffle et d'humour. .

Mon avis
Le Ventre de l’Atlantique nous entraîne dans le sillage de Salie, Sénégalaise expatriée en France, qui revient sur l’île de Niodior, sa terre natale. Elle y retrouve sa grand-mère, qui l’a élevée et son petit frère Madické, qui rêve de venir vivre en France pour y embrasser l’enviable carrière de footballeur. Salie se retrouve bien trop souvent à court d’arguments face à ce petit frère aux rêves illusoires, qui croit comme beaucoup de jeunes sénégalais, que la France est une terre d’accueil fabuleuse. Beaucoup s’y sont déjà cassés les dents avant de venir se jeter dans le ventre de l’Atlantique, noyer leurs corps pour offrir le repos à leurs âmes.

Fatou Diome nous met face à la réalité de la migration et des désillusions qui vont avec. À travers ses personnages, elle distille la palette d’émotions, de pensées et de faux espoirs qu’on peut trouver des deux côtés de la barrière. Madické est persuadé que la vie en France est douce, plus facile si l’on a la volonté de travailler et de se battre. Salie, elle, sait combien cela ne suffit pas dans un pays qui ne récompense le mérite que lorsqu’il lui est utile. Elle sait toute cette solitude qui l’étreint depuis qu’elle est partie, le prix de cette liberté chérie qui n’était pour elle que la seule solution pour enfin se construire une identité, elle qui a été élevée par sa grand-mère parce qu’enfant non légitime, contrairement à Madické. Sur Niodior, Salie n’avait pas d’avenir alors que, Madické, lui, peut tout faire selon elle.

J’ai sauté à pieds joints dans ce roman où Salie décrit la vie sur son île natale, où elle peint une toile pleine de franchise de la réalité de la jeunesse sénégalaise, abordant le positif comme le négatif. Elle m’a touchée, Salie, par son regard éclairée et par les difficultés qu’elle a rencontrées en tant que fille illégitime et, surtout, en tant que femme. Fatou Diome, à travers une fiction marquée par la réalité, m’a offert un moment magique malgré la dureté des faits abordés. De sa plume incroyablement poétique et vindicative, elle a su me toucher au point de me faire frissonner rien qu’en lisant la beauté de ses mots esquisser ce qu’il y a de sombre chez l’être humain. À travers une histoire qui n’est pas la mienne je me suis tout de même sentie proche de ses personnages, liés à eux par ces espoirs écrasés par la réalité, par l’envie de me battre contre les injustices et par l’écœurement que suscite la domination de ceux qui ont le pouvoir sur la plèbe, au Sénégal comme ici.

Et, surtout, la nostalgie de Salie m’a parlé. Son sentiment de solitude lorsqu’elle est en France, son attachement à ces terres qu’elle a pourtant quittées, sa sérénité en retrouvant sa grand-mère… Quelles que soient nos histoires, on se sent tous apaisés lorsqu’on retourne chez nous, lorsqu’on retrouve nos anciens repères et que les souvenirs les plus doux viennent nous rappeler qui nous sommes et d’où nous venons. Malgré les épreuves de la vie, nos racines font partie de nous et ont servi à notre construction, elles nous permettent de ne pas nous perdre lorsque notre chemin semble flou.

Là, en relisant des passages pour boucler ma chronique, je frémis encore. Ce n’est pas la première histoire du genre que je lis, d’ailleurs ma dernière chronique, Americanah, parle aussi de l’expatriation et du retour difficile de l’héroïne, mais c’est encore différent. C’est différent parce que les mots de Fatou Diome résonnent en moi, parce qu’ils agitent une corde sensible chez la fille qui est partie de chez elle et qui y revient de plus en plus souvent parce qu’elle s’y sent bien. Parce que partir et revenir à l’infini est une option alléchante et angoissante à la fois : risque-t-on de se perdre en ne trouvant sa place partout sans pour autant réussir à choisir ? Lorsqu’on est tiraillé entre plusieurs vies, finit-on fatalement par « Partir, vivre libre et mourir, comme une algue de l’Atlantique » ?
S’il n’y avait qu’une chose à retenir, ce serait que ce fil rouge qui nous lie à nos origines est un moyen de retrouver le chemin et non de nous empêcher d’aller plus loin, ailleurs, malgré les nœuds et les moments où se fil feint de se tendre.

Une lecture poignante que je recommande chaudement, que ce soit pour découvrir la réalité de l’expatriation en France ou la vie sur cette île sénégalaise. Je le recommande aussi à tous ceux qui croient que c’est facile de choisir un bord ou l’autre lorsqu’on a quitté un pays pour un autre.


Et pour le plaisir, quelques citations :

« Les gouvernements changent, mais notre sort, comme celui de leurs démunis, reste le même. Certains échangeraient volontiers leur vie contre la tienne. Blottis sous les ponts ou dans les dédales du métro, les SDF doivent parfois rêver d’une cabane en Afrique. Tu me fais rire avec ton analyse politique. Ta gauche de l’espoir est une gauche caviar qui soûle les pauvres de discours creux, avant d’aller s’empiffrer tranquillement de sa bonne conscience. La gauche reste notre mère à nous, les humbles, mais c’est une mère qui trop souvent nous refuse son lait et se contenter d’exhiber ses beaux seins. Quant à leur politique d’intégration, elle vaut tout au plus leur équipe nationale de football. Blacks, Blancs, Beurs, ce n’est qu’un slogan placardé sur leur vitrine mondiale, comme une mauvaise publicité de Benetton, juste une recette : Bœuf, Braisé, Beurré, que les chaînes de télévision s’arrachent à millions. Les étrangers sont acceptés, aimés et même revendiqués seulement, quand, dans leur domaine, ils sont parmi les meilleurs. »

« Je pensai à ma vie solitaire en Europe, où personne ne se soucie de mes allées et venues, où seule ma serrure compte mes heures d’absence. Un e-mail ou un message sur le répondeur téléphonique, ça ne sourit pas, ça ne s’inquiète pas, ça ne s’impatiente pas, ça ne vide pas une tasse de café, encore moins un cœur plein de mélancolie. La liberté totale, l’autonomie absolue que nous réclamons, lorsqu’elle a fini de flatter notre ego, de nous prouver notre capacité à nous assumer, révèle enfin une souffrance aussi pesante que toutes les dépendances évitées : la solitude. Que signifie la liberté, sinon le néant, quand elle n’est plus relative à autrui ? Le monde s’offre, mais il n’enlace personne et ne se laisse pas enlacer. La petite chaîne imaginaire, que ma grand-mère tendait entre nous, me restituait de l’équilibre. Elle est le phare planté dans le ventre de l’Atlantique pour redonner, après chaque tempête, une direction à ma navigation solitaire. Avec elle, j’ai compris qu’il n’y a pas de vieillards, il n’y a que de vénérables phares. »

« Laissez fonctionner l’hôtellerie, au bon plaisir des touristes occidentaux ! Ne soyez pas trop regardants sur ce qu’ils y font, il ne faut surtout pas les froisser. Il faut fidéliser la clientèle ! Tant pis si quelques libidineux viennent uniquement visiter des paysages de fesses noires, au lieu d’admirer le Lac rose, l’île aux oiseaux, nos greniers vides et nos bidonvilles si pittoresques.[…] Alors, messieurs les clients, quand votre routoutou bien flatté transpire et se dégonfle, implorant le repos, ayez l’obligeance de gonfler la facture, ça fera plaisir à mameselle, même si votre tête tient dans le bonnet de son soutien-gorge. »

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

lundi 27 août 2018

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie

Americanah a été proposé en Lecture Commune sur Accros & Mordus de Lecture par Joyce et RedPanda. Je n’ai pas hésité à m’y inscrire puisque je voulais découvrir cette plume depuis un bon moment déjà et je ne regrette rien. J'ai lu ce livre il y a plusieurs mois déjà mais je me souviens plutôt bien de tout ce que j'ai ressenti à la lecture !



Quatrième de Couverture
« En descendant de l'avion à Lagos, j'ai eu l'impression d'avoir cessé d'être noire. »
Ifemelu quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Jeune et inexpérimentée, elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, éternel admirateur de l'Amérique qui compte bien la rejoindre. Mais comment rester soi lorsqu'on change de continent, lorsque soudainement la couleur de votre peau prend un sens et une importance que vous ne lui aviez jamais donnés?
Pendant quinze ans, Ifemelu tentera de trouver sa place aux États-Unis, un pays profondément marqué par le racisme et la discrimination. De défaites en réussites, elle trace son chemin, pour finir par revenir sur ses pas, jusque chez elle, au Nigeria.

À la fois drôle et grave, doux mélange de lumière et d'ombre, Americanah est une magnifique histoire d'amour, de soi d'abord mais également des autres, ou d'un autre. De son ton irrévérencieux, Chimamanda Ngozi Adichie fait valser le politiquement correct et les clichés sur la race ou le statut d'immigrant, et parcourt trois continents d’un pas vif et puissant.

Mon avis
Americanah est présenté comme une histoire d’amour entre trois continents mais ce roman va bien au-delà de ça, il creuse avec brio plusieurs sujets et offre de nombreuses pistes de réflexion.
À travers le parcours d’Ifemelu et Obinze, nous découvrons le rite initiatique du passage à la vie adulte de deux jeunes quittant leur pays d’origine pour grandir à l’étranger. Seulement, quitter l’Afrique pour l’ailleurs ne se passe pas de la même façon pour ces deux jeunes qui étaient fous amoureux durant leur adolescence.

Sous couvert de fiction, Chimamanda Ngozi Adichie nous offre une vision de l’accueil réservé aux étrangers aux USA comme en Europe. Elle nous montre le parcours du combattant traversé par Pbinze et Ifemelu qui n’ont pas vécu les mêmes choses mais qui n’ont été dans les yeux de certains que des « Africains » avant d’être des êtres humains. De la vie de sans-papiers d’Obinze à la vie d’écrivaine noire d’Ifemelu, on côtoie différentes formes de racisme, assumées ou non, volontairement méchantes ou camouflées sous la bonne charité.

Ifemelu tient un blog « Raceteenth ou Observations diverses sur les Noirs américains (ceux qu’on appelait jadis les nègres) par une Noire non américaine » qui prend peu à peu de l’ampleur et lui permet de vivre de ce qu’elle écrit. Elle y distille son avis sur des faits de société, des détails de la vie quotidienne, des réflexions… Et surtout, elle met en lumière beaucoup de faits qui passent inaperçus pour tous ces gens qui ne subissent pas d’oppression quotidienne (dont je fais partie si on laisse de côté l’oppression du patriarcat parce que j’ai un vagin). Le tour de force de Chimamanda réside dans l’éducation qu’elle offre à ses lecteurs à travers le regard de son héroïne. S’il y a des faits dont j’étais consciente, notamment parce que j’ai écouté des amis subissant ces oppressions m’en parler, il y a aussi de nombreux détails auxquels je ne faisais pas attention. Et c’est en ça que j’ai vraiment adoré lire ce roman et que je le considère comme roman à recommander sans modération.

Ifemelu et Obinze nous permettent de comprendre une autre réalité du monde, de nous glisser dans la peau de deux jeunes avec des rêves plein la tête qui se fracassent le crâne avec plus ou moins de violence contre le mur que l’on appelle la Réalité.
Lorsqu’Obinze retourne au pays, il le vit comme un échec parce qu’il a été expulsé. Son rêve a été piétiné, on ne lui a pas laissé de réelle chance. Il accepte de construire sa vie au Nigéria selon une ligne autre que celle prévue et s’en sort bien. Seulement, on sent toujours cette blessure, cet accroc de la vie laissé sur son âme.
Ifemelu, elle, revient en vraie Americanah, ces Africains considérés comme complètement américanisés une fois qu’ils reviennent « à la maison ». Et ce mot devient réel pour ces gens qui ne reconnaissent plus rien de leur jeunesse, ou ne reconnaisse que trop bien un lieu qu’ils ont quitté. Entre accélération trop poussée dans certains domaines et pause à rallonge dans d’autres, leur pays leur semble étranger parce que trop proche de ce qu’ils étaient avant de grandir peut-être. Le décalage est là, ils étouffent en même temps qu’ils sont heureux d’être rentrés. Et c’est ce que ressent Ifemelu, cette Americanah qui ne sait plus dans quel pays elle a réellement sa place.

Les épreuves de la vie qui ont marqué Ifemelu et Obinze sont celles que l’on croise nous aussi, mais il y en a d’autres, il y a celles liées au fait qu’ils sont des étrangers, de couleur qui plus est. Tant d’obstacles ajoutés à cause d’une couleur de peau différente, d’un pays différent, d’un autre continent, surtout.

Il y a encore tant de choses à dire sur Americanah que tout ce que je peux conseiller c’est de le lire, de découvrir la plume de l’autrice, d’écouter sa voix qui permet de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux points de vue. Elle est une voix qui a réussi à émerger dans le monde littéraire mais aussi féministe et qui permet de mettre en avant toutes ces autres voix qu’on ne laisse pas s’exprimer. Chimamanda Ngozi Adichie rappelle que l’Afrique n’est pas un continent arriéré, que la littérature africaine mérite aussi d’être mise en avant et que les Africains ont tout autant à apporter au monde que les autres êtres humains sans avoir besoin de renier là d’où ils viennent.

Lisez, lisez Chimamanda Ngozi Adichie, lisez de la littérature étrangère, lisez sur le regard des autres, mais aussi écoutez les gens qui vous entourent pour mieux comprendre leurs différences et les prendre en compte quand vous souhaitez vous exprimez sur un sujet. La littérature est une porte qui m’a permis de m’ouvrir à d’autres horizons, d’apprendre plus sur les « autres », ces gens qui n’ont pas la même histoire que moi, qui ne viennent pas du même milieu et c’est aussi en ça que lire m’est essentiel, en ça que je le conseille à tous. Quoi de mieux que la voix de l’autre pour le comprendre ?

Et, pour tout ce que ce livre m’a fait ressentir, je peux dire qu’Americanah a été un coup de cœur de l’année 2018 ♥.


Quelques citations (parmi toutes celles que j'ai relevées pendant ma lecture) :

« Un autre ami nous dit : "Les Noirs autochtones sont toujours plus mal traités que les Noirs non autochtones partout dans le monde. Mon amie qui est née et a été élevée en France de parents togolais prétend être anglophone quand elle va faire des achats à Paris, parce que les vendeurs sont beaucoup plus aimables avec les clients noirs qui ne parlent pas français. Tout comme les Noirs américains sont traités avec respect dans les pays africains." »

« Si tu ne comprends pas, pose des questions. Si poser des questions te met mal à l'aise, dis-le et pose-les quand même. On voit facilement si une question part d'une bonne intention. Puis écoute encore davantage. Parfois les gens ont seulement envie d'être entendus. »

« Alexa, et les autres invités comprenaient tous la fuite devant la guerre, devant la pauvreté qui broyait l'âme humaine, mais ils étaient incapables de comprendre le besoin d'échapper à la léthargie pesante du manque de choix. Ils ne comprenaient pas que des gens comme lui, qui avaient été bien nourris, qui n'avaient pas manqué d'eau, mais étaient englués dans l'insatisfaction, conditionnés depuis leur naissance à regarder ailleurs, éternellement convaincus que la vie véritable se déroulait dans cet ailleurs, étaient aujourd'hui prêts à commettre des actes dangereux, des actes illégaux, pour pouvoir partir. »

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

mardi 31 juillet 2018

La mouche et la glu de Maurice Okoumba-Nkoghe

J'aime voyager à travers mes lectures mais aussi découvrir d'autres pays, d'autres cultures et modes de vie. C'est quelque chose qui m'apprend beaucoup sur les autres, sur les différences et les autres visions m'ouvrent chaque jour un peu plus l'esprit. Là, des amies m'ont conseillé de lire ce roman, souvent étudié dans les lycées gabonais et je ne le regrette pas.



Quatrième de Couverture
« Crois-tu que Nyota acceptera d’aller chez cet homme qui a l’âge de son père, et qui en plus a pour maîtresses toutes les femmes du pays ?
– Ma volonté est sa volonté. Ma volonté est votre volonté à vous toutes. M’Poyo n’a d’égal que lui-même et c’est le beau-fils qu’il me faut, que toi et Nyota le vouliez ou pas… Tais-toi, femme à la bouche trop longue, Nyota est ma chose comme toi tu es ma chose. Je t’ai épousée avec une dot et non avec des mots…
– Tu dois être ta propre volonté, ma fille. Ton père veut cueillir le fruit vert que tu es pour remplir son panier d’avenir. J’ai été vendue par mon père et je ne voudrais pas que tu sois vendue toi aussi. »

La mouche et la glu est une histoire d’amour simple, forte et nue, entre deux adolescents, avec la complicité du vieillard et de l’enfant, de la mère, de la brousse et du marigot. Et peu importe dans un monde où « le goût du gain a ramolli les sentiments » et la soif du pouvoir dévoyé la coutume, cette histoire se termine dans la mort, avec la magie noire de Samabi et la torture de la milice de M’Poyo. Car l’auteur, en décrivant la sagesse et la révolte du peuple du village, nous transmet avec soin son message d’amour : « L’amour témoigne pour l’avenir, et a plusieurs renaissances, tout comme le soleil. »

Mon avis
La mouche et la glu est une tragédie, une histoire d’amour où la fin dans la mort est annoncée dès le départ, dans les présages mais aussi dans les mots du narrateur. Pourtant, de cette tragédie va naître une leçon, un vent de révolte et de courage que Nyota transmet aux gens qui croisent sa route tout comme l’auteur cherche à le transmettre à ses lecteurs.

Écrit en 1984, le roman n’a pas de repère temporel défini et le lieu lui-même n’est pas officiellement authentifié. Seulement, on se rend compte vite de deux choses : cette histoire est encore intemporelle dans le monde actuel et notamment au sein du pays de l’auteur, le Gabon. Quelques recherches permettent même de comprendre que Okoumba-Nkoghe situe clairement son histoire au Gabon à travers quelques indices. Si je ne connais pas suffisamment le Gabon pour affirmer cela de moi-même, je me permets la comparaison parce que ce livre m’a été prêté par une amie gabonaise qui m’a dit que ce livre était une critique de la société encore valable aujourd’hui, plus de trente ans après.

La mouche et la glu décrit une communauté où les femmes sont mal considérées, où les hommes les considèrent comme leur propriété : un père vend sa fille à son gendre lors d’un mariage. Les violences physiques infligées aux femmes y sont décrites, ainsi que le manque de reconnaissance au sein de leur travail ou encore la double utilité de la femme entre objet sexuel et machine à procréer. Nyota, elle, n’est pas prête à se laisser faire. Elle refuse qu’on lui impose un tel destin et la force de son amour pour Amando lui donne le courage nécessaire pour affronter son père. Elle inspire les gens autour d’elle par la profondeur de ses sentiments et par la pureté de son âme.

Mais ce n’est pas tout. Okoumba-Nkoghe décrit aussi le monde gangréné par l’argent et le pouvoir, par la cruauté dont font preuve les personnes du haut du panier envers ceux qui ne touchent que le fond et le raclent pour survivre. Il expose clairement le cercle vicieux induit par ces comportements : les abus des plus grands et l’envie perpétuelle des plus démunis d’atteindre ces hautes sphères et de finir par se comporter eux aussi de cette manière s’ils y parviennent. Il décrit un monde où la bonté d’âme et où l’amour ne font plus tourner le monde, où seuls les vices humains dominent.

Dans cette tragédie, l’amour ne suffit pas et les âmes pures meurent. Le père de famille avide d’argent finit aussi par s’en mordre les doigts mais pas l’homme riche et puissant. C’est une tragédie où ceux d’en haut n’apprennent rien. Cependant, le vent de révolte transmis par Nyota aux personnes autour d’elle, la prise de conscience qu’elle a insufflée et la colère naissante face à l’injustice sont à retenir. L’auteur cherche à éveiller les consciences. La mouche et la glu n’est pas un simple roman voué à être oublié avec une fin mignonne pour contenter les esprits, non, il s’agit d’un roman qui laisse un goût amer en bouche mais aussi une note d’espoir. C’est un roman qui souffle à l’oreille du lecteur de se lever contre l’injustice, de célébrer l’amour et d’en extraire la force de se battre.

Enfin, même pour moi, petite française, le message transmis par Okoumba-Nkoghe est chargé de sens : quand je vois qu’ici, on nous pousse à toujours produire plus, à travailler plus pour accumuler des richesses, richesses qu’on est prié de dépenser rapidement pour rendre aux grands investisseurs ce qu’ils viennent de nous donner… Je me dis que l’argent n’a pas fini de faire croître les injustices et le désespoir. Nous sommes à la merci de personnes qui se permettent de se soustraire à notre système judiciaire grâce à l’argent ou leur position et nous, pauvres pouilleux, ne pouvons que cravacher un peu plus pour la simple illusion d’une vie meilleure.

Nyota, par sa force de conviction, me donne envie de me battre plus encore pour les miennes, qu’elles soient du côté du féminisme ou du côté de mon engagement citoyen.

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

samedi 21 juillet 2018

Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley

J'ai pas mal de chroniques en retard mais j'ai voulu écrire mon avis sur ma dernière lecture, Le meilleur des mondes, dans le cadre d'une Lecture Commune Accros & Mordus de Lecture. Ma chronique part dans tous les sens, comme à chaque fois qu'un livre me donne matière à réflexion donc je souhaite bien du courage aux téméraires qui se lancent dans la lecture de mon ressenti.



Quatrième de Couverture
Défi, réquisitoire, utopie, ce livre mondialement célèbre, chef-d’œuvre de la littérature d'anticipation, a fait d'Aldous Huxley l'un des témoins les plus lucides de notre temps.
Aujourd'hui, devait écrire l'auteur près de vingt ans après la parution de son livre, il semble pratiquement possible que cette horreur s'abatte sur nous dans le délai d'un siècle. Du moins, si nous nous abstenons d'ici là de nous faire sauter en miettes... Nous n'avons le choix qu'entre deux solutions : ou bien un certain nombre de totalitarismes nationaux, militarisés, ayant comme racine la terreur de la bombe atomique, et comme conséquence la destruction de la civilisation (ou, si la guerre est limitée, la perpétuation du militarisme) ; ou bien un seul totalitarisme supranational, suscité par le chaos social résultant du progrès technologique.

Mon avis
Le meilleur des mondes est une utopie où l’idée du bonheur permanent est atteinte, où les guerres ne sont plus, où la vieillesse physique n’est plus qu’un lointain souvenir et où chaque être est assigné à la tâche qui lui convient. Mais qu’est-ce que le bonheur quand l’idée de malheur devient abstraite ?

Dans ce futur utopique, Aldous Huxley nous propose une société où tout ce qui pouvait déclencher passion, rivalité, envie ou espoir a disparu. Une société où le seul but des êtres humains et d’abattre le travail pour lequel ils sont conditionnés afin d’ensuite se laisser aller à des loisirs leur faisant se sentir bien. La gestation naturelle n’est plus, la fécondation n’est plus qu’in vitro et la notion de famille a disparu, permettant de ne pas créer de clans autres que ceux des classes sociales. Et, ces classes sociales, sont minutieusement maintenues : les êtres humains au bas de l’échelle (Delta et Epsilon) ne sont pas capables de comprendre leur condition tout comme ceux du haut de l’échelle (Alpha) sont satisfaits de leur place. Le meilleur des mondes est celui où l’ambition n’existe plus, où l’amour est une chimère et où les possibles émotions sont balayées grâce à une drogue efficace.

Lorsqu’un être humain met en péril cet équilibre, cette stabilité, il est rapidement repéré et neutralisé. Rien ne doit venir perturber cette société dont les rouages sont huilés à la perfection. Les raisons de venir faire dérailler la machine sont pourtant nombreuses et incarnées par différents personnages.

Bernard Marx, lui, est un Alpha plus dont le physique ne colle pas à sa caste : plus petit, plus mince ; sa différence dans un monde où chaque classe possède ses critères bien définis le font se sentir méprisé. En ayant conscience de sa différence, il manque de confiance en lui et prend surtout conscience d’être une entité à part entière et pas seulement une partie d’un tout. Cette prise de conscience du moi est dangereuse pour l’équilibre parce qu’elle pousse Bernard à agir pour son image, à se démarquer dans quelque direction que ce soit : en se rebellant ou en communiant avec le système. Sa frustration le pousse à vouloir briller coûte que coûte, sans réfléchir aux conséquences. Sa différence le rend inadapté à cette société qui ne laisse rien au hasard.

Helmholtz Watson, Alpha plus, est aussi inadapté à cette société, il a cette conscience de son individualité mais de manière différente. Ce n’est pas par frustration car tout lui sourit, c’est par le fruit de sa réflexion, par sa conscience du monde, de la vacuité de son existence, de l’absence de rôle significatif à jouer. Son intelligence est trop élevé pour entre dans le moule. Il incarne les érudits qui cherchent un sens à la vie et qui ne parviennent pas à la satisfaction de l’existence.

Lenina Crown, Bêta plus, est parfaitement conditionnée. Elle incarne la poupée parfaite, qui plait aux hommes, qui fait ce qu’on attend d’elle. Seulement, elle tend à avoir des relations sociales qui sortent de l’ordinaire : elle s’attache aux gens, elle ressent naturellement une certaine passion et aussi de la compassion. Elle incarne l’amour, sentiment qui a été bannie de la société car incompatible avec l’équilibre.

Linda, Bêta moins, est l’incarnation du conditionnement parfait et de l’être qui reste dans le moule malgré l’évolution dans une société instable. Perdue dans la « Réserve pour sauvages », elle ne s’est jamais adaptée à la vie des sauvages, des non-civilisés à cause de son conditionnement. Exclue de cette société « sauvage », la sénilité l’atteint. L’enfant qu’elle a eu par voie naturelle va à l’encontre de son conditionnement, elle le déteste autant qu’elle l’aime : le conditionnement s’oppose à l’instinct chez elle mais elle se sent libérée quand on lui permet de retrouver son moule pour y finir ses jours. Pour Linda, incarnation de l’être conditionné perdu une fois sorti de ce qu’elle connaît, la liberté passe par l’enfermement dans la société « civilisée » car elle n’a pas cette conscience de l’individualité. Ses repères sont uniquement liés au conditionnement.

John, « le Sauvage », est né dans la Réserve mais a toujours été rejeté de par sa différence : quelle que soit la société, la différence est une tare, la différence pousse à la conscience de son individualité et à la souffrance. Mais John est éduqué, John réfléchit et il se sert de cette souffrance pour se construire. Il est le miroir du lecteur, celui qui a grandi à l’état sauvage, souffre mais reste digne, cherche à comprendre la « civilisation » mais n’en retient que ses travers. Il est l’esprit critique extérieur à qui il manque cependant encore un peu de travail pour user au mieux de sa réflexion, dont la limite s’exprime dès qu’il se met à citer Shakespeare, dont les œuvres sont le seuls repère intellectuel qu’il possède.

Enfin, Mustapha Meunier, Alpha plus et administrateur mondial, représente le réalisme. Il a conscience du monde, du moi et des travers de cette société civilisée mais il sait que cette stabilité a un prix. Il sait que ce conditionnement permanent est la seule manière de ne pas voir les rouages sauter. Il fait lui aussi preuve de compassion en permettant aux êtres conscients de leur individualité et aspirant à plus d’aller vivre dans un ailleurs plus en adéquation avec leurs attentes. Il a le côté dérangeant de ces dirigeants du monde qui traitent la masse comme des pions sans réflexion et qui estiment que c’est pour leur bien.

Aldous Huxley nous offre à travers une écriture tantôt incisive, tantôt traînante, une utopie où l’abolition des sentiments et de la réflexion permettent une stabilité politique sans faille. Ce monde fonctionne uniquement parce que la masse ne réfléchit pas et c’est le constat de l’auteur : seul le totalitarisme permet une société sans faille. Seule l’annihilation de certains instincts permet la domestication de l’Homme. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : domestiquer l’Homme pour l’empêcher d’avoir conscience de sa réalité.

Même si Le meilleur des mondes n’est plus très loin d’atteindre le centenaire, il reste atrocement réaliste sur la société actuelle, et visionnaire. Le parallèle qui peut être fait entre l’utopie d’Huxley et notre société est glaçant. Nous vivons dans un monde où les classes sociales sont maintenues, où des besoins sont créés par conditionnement, où la moindre réussite est encouragée et immédiatement enviée mais où elle ne risque pas de venir ébranler le pouvoir en place. Nous sommes conditionnés à travailler comme des forcenés pour pouvoir ensuite profiter de notre temps libre, à amasser des richesses pour nous empresser de tout dépenser. Le travail que nous fournissons n’est destiné qu’à enrichir les hautes sphères et nous laisser croire que nous pouvons avoir une vie meilleure. La société nous encourage à faire un travail « qui nous plait » pour s’assurer que nous le ferons bien et longtemps, que nous nous y dévouerons corps et âme. La différence est sans cesse pointée du doigt, il faut toujours qu’il y ait des gens en-dessous de nous pour que nous puissions nous dire « je suis bien où je suis, il y a toujours pire ».

Notre soma à nous passe par le divertissement de masse, par ces événements qui peuvent nous endormir quelques temps pour nous faire oublier la misère du monde. Mais tacler les gens qui acceptent cette dose de soma n’est pas la solution, à l’image de ceux qui se sont régalés récemment de mépriser les adeptes de football, contents pendant un mois d’avoir pu oublier la dureté de la vie en communiant ensemble devant des matchs, comme moi. S’en prendre au peuple qui cherche la moindre source de bonheur et d’oubli de la solitude c’est se tromper de cible, comme toujours, et c’est surtout se diriger vers la cible qu’on nous désigne. Aldous Huxley l’a bien montré dans son utopie : c’est en poussant les gens à mépriser ceux qui sont en-dessous qu’on les empêche de s’en prendre à ceux qui sont au-dessus. Il est toujours plus facile de mépriser le bas peuple que les élites, parce qu’il nous a toujours été enseigné de vouloir atteindre les hauteurs pour s’extraire des méprisables profondeurs. Pourtant, en élevant notre esprit avant notre condition sociale, nous avons beaucoup plus à gagner et ce sans avoir à écraser les autres.

Le meilleur des mondes est un roman d’anticipation superbe, qui m’a fait réfléchir, m’a glacé le sang chaque fois que j’avais l’impression de lire une situation familière. Mais c’est aussi un roman qui m’a poussée à me poser certaines questions sur les réelles préoccupations de l’auteur : le malaise constant que j’ai ressenti en lisant ce livre est encore là après avoir digéré l’histoire. Huxley dénonçait-il réellement cette utopie qu’il décrit ? Je n’en suis pas certaine, surtout à la seconde lecture de sa préface de l’édition de 1946. Huxley semblait plutôt imaginer à quoi ressemblerait un monde bien organisé, bien stable et où les instincts de l’être humaine pouvaient être contrôlés. Et il reste cette sensation, cette qui idée selon laquelle seule l’élite intellectuelle a droit à la liberté, a droit à son Eden quand elle ne peut se fondre dans le moule où l’être humain n’est qu’un outil pour produire. Mon malaise s’accentue à mesure que j’avance dans ma réflexion parce que, dans toutes les directions, il y a toujours ce résultat final où une élite doit diriger la masse. Dans Le meilleur des mondes, les êtres humains ne reçoivent que l’éducation qui leur est nécessaire à faire tourner la machine selon leur rang : aujourd’hui, nous vivons ce modèle malgré l’illusion de l’égalité des chances. Dans sa préface de 1946, Huxley en arrivait au constat que son utopie, qu’il supposait pouvoir se réaliser en 600 ans au départ, pouvait finalement se mettre en place au bout d’un siècle. Je finis par croire qu’il n’avait pas tort et c’est sûrement ce qui me fait bouillir aujourd’hui dès que les politiques français ouvrent le bouche : je ressens les mêmes émotions que lorsque j’ai lu les explications de Mustapha Meunier. Les hommes politiques, cette élite auto-proclamée et au ticket d’entrée bien trop rare, posent sur nous, le peuple, un regard méprisant non pas parce qu’ils nous détestent mais parce qu’ils sont persuadés d’être les seuls capables de faire tourner le pays. Et notre avis importe peu puisqu’à leurs yeux nous n’avons aucune légitimité pour émettre une idée, aussi fonctionnelle soit-elle. Ce goût amer sur ma langue a été ravivé par cette lecture et, en ça, je peux dire que Le meilleur des mondes est une lecture que je n’oublierai pas.

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

mercredi 16 mai 2018

Régine Deforges, bref portrait

Je ne suis pas biographe, vous le savez, donc cet article ne sera pas une biographie de Régine Deforges mais plutôt une introduction sur la grande dame qui se cache derrière La Bicyclette bleue. Lire des articles à son sujet m’a permis de mieux comprendre son écriture, ses références ainsi que le personnage de Léa et c’est cela que j’ai envie de partager ici.



Régine Deforges est née en 1935 à Montmorillon, un petit village de la Vienne, au cœur du Poitou : elle est une enfant de la campagne, de la terre. Elle raconte dans plusieurs interviews que cet endroit était trop étroit pour elle, qu’il réclamait une trop grande discrétion pour la jeune fille à la soif de liberté qu’elle était. Un épisode marquant de sa jeunesse, qu’elle raconte à ces occasions, est le vol de son journal intime, à 15 ans, où elle avait couché son histoire d’amour pour une jeune fille de son âge : le scandale éclate et on la force à brûler tous ses cahiers d’écriture, ses précieux écrits. Cette histoire lui inspire plus tard son roman Le Cahier volé (1978).

Régine Deforges est une femme libre, forte et toujours passionnée par la littérature. En 1968, elle crée sa propre maison d’édition, L’Or du temps, et devient la première éditrice française. J’entends souvent parler des grands éditeurs, de ces dynasties littéraires qui ont survécu à bien des crises et notamment la Seconde Guerre Mondiale. La première femme éditrice, ça, je n’en avais jamais entendu parler et j’étais même loin de me douter qu’il s’agissait de Régine Deforges, et c’est un fait marquant : encore une fois, la réussite des femmes n’est jamais mise en avant en France. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de me lancer dans ce petit dossier : pour mettre en avant un fait important, un fait qui est historique à mes yeux mais surtout lourd de sens.

Dès mars 1968, le travail de Régine Deforges est écrasé. Le premier livre qu’elle publie en tant qu’éditrice, Le Con d’Irène attribué à Louis Aragon, sous le titre Irène, est saisi quarante-huit heures après sa mise en vente, le 22 mars 1968. Alors que Mai 68 et ses slogans libertaires battent leur plein, Régine Deforges affronte le tribunal pour outrage aux bonnes mœurs. Nombreuses sont ses publications qui sont censurées, attaquées en justice. La condamnation va même jusqu’à la priver de ses droits civiques durant quelques années. Éditrice de textes érotiques, elle dérange avant tout parce qu’elle est une femme.

Petit extrait d'un article du Monde pour comprendre :
Au tribunal, elle devait subir les propos railleurs et machistes des juges — « Pourquoi une jolie femme comme vous publie-t-elle de telles saletés ? »

Les attaques successives subies par sa maison d’édition la forcent à déposer le bilan : la justice coûte cher à la liberté.

Elle finit par se remettre à l’écriture, des décennies après le scandale de sa jeunesse, mais les attaques ne sont pas terminées. En 1981 sort La Bicyclette bleue qui est un succès mais qui pousse les descendants de Margaret Mitchell à intenter un procès pour contrefaçon. Régine Deforges, après de longues années de combat, finit par gagner ce procès. Oui, La Bicyclette bleue est semblable point par point à Autant en emporte le vent, et non ce n’est effectivement pas un hasard : Jean-Pierre Ramsay a proposé à Régine Deforges d’adapter ce roman à la Seconde Guerre Mondiale. Dès le départ, c’était écrit comme une adaptation.

Quand je lis aujourd’hui des chroniques disant « Oh la la c’est un plagiat je suis déçu quelle honte ! » ça m’agace. À une époque où quelques clics suffisent à trouver la vérité, je trouve malsain de se permettre de publier son jugement sur le net sans même prendre deux minutes pour vérifier ses sources. Et je veux rendre ses lettres de noblesse à Régine Deforges, non pas face au grand public parce que je n’en ai pas la prétention ni la légitimité, mais au moins face à cette communauté que nous sommes et dont je fais partie. Régine Deforges a passé sa vie à lutter contre l’adversité sans jamais baisser les bras et ça, c’est admirable. Elle a dépensé son temps, son énergie et son argent pour obtenir justice et je trouve honteux que des lecteurs aujourd’hui ne se gênent pas pour véhiculer encore une fausse idée de plagiat.

Par la suite, Régine Deforges est très active dans la vie littéraire française, avec des prises de position qui provoquent à nouveau des remous, qu’elle ait raison ou non. Je ne m’attarde pas sur ces faits parce qu’ils m’intéressent moins ici vis-à-vis du dossier en général mais je vous invite à creuser si cela vous interpelle.

Ce que je retiens de Régine Deforges et que je veux transmettre est surtout le fait qu’elle a participé à la lutte pour la reconnaissance de la place des femmes dans le monde de la littérature finalement, mais aussi au mouvement féministe par les idées qu’elle a toujours cherché à véhiculer, que ce soit via l’édition ou ses propres écrits. Je tiens à le redire mais son histoire d’éditrice montre qu’il y a 50 ans, une femme éditrice et qui, de surcroît, publiait des textes érotiques, était condamnable. 50 ans plus tard, nous devons encore lutter pour obtenir l’égalité en littérature, et pas que.

Quand on voit que certaines années, il n’y a pas une seule autrice au programme du baccalauréat de Français, on peut se poser des questions. Pour de jeunes lecteurs compulsifs, ce n’est pas forcément un problème puisqu’ils ouvrent seuls leurs horizons littéraires, mais quel message cela fait-il passer aux élèves qui ne lisent pas en dehors des œuvres imposées ?
Même choses lorsqu’on se penche un peu sur les statistiques dans le monde de la publication : toujours plus d’hommes que de femmes, plus d’hommes primés, plus d’hommes mis en avant sur les étals… Sauf quand il s’agit de genres littéraires dits « pour femmes ».
50 ans plus tard, la voie de l’égalité est encore longue à parcourir. En découvrant Régine Deforges, son écriture et son histoire, je ne pouvais pas faire autrement que partager ici ce que j’avais découvert et ce que j’avais ressenti. Cette grande dame est la preuve que son genre lui a mis des bâtons dans les roues, que son genre a justifié jusqu’à la suspension de ses droits civiques ! Et elle n’a jamais abandonné, elle a toujours rebondi et c’est quelque chose que j’admire chez elle. Toutes ses prises de position ne résonnent pas forcément en moi mais, en ce qui concerne ses positions féministes, elle a eu toute mon attention et toute mon admiration.

Je vous laisse mes différentes sources si vous voulez aller plus loin (ou si vous voulez vérifier que je ne vous raconte pas trop de fadaises) et je vous invite vivement à découvrir les œuvres de notre toute première éditrice française, celle qui a ouvert la voie pas toujours rectiligne à d’autres femmes amoureuses de la littérature.

Sources :
Régine Deforges sur Wikipédia
Régine Deforges, la papesse de l'érotisme
Régine Deforges : l'auteure de La Bicyclette bleue est morte
Page de Régine Deforges sur le site de l'éditeur Fayard
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