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Rambalh, c'est un pot pourri de mes lectures, un blog pour partager mes coups de coeur et de gueule. Rambalh signifie Bordel en Occitan et c'est un peu le cas de ce blog. Il est surtout né de mon besoin de garder une trace de mes lectures. Retrouvez-moi aussi sur Accros & Mordus de Lecture.

samedi 23 mai 2020

Conditions premières d'un travail non servile de Simon Weil

Lors de ma dernière visite à Paris j’ai pu découvrir la librairie de la Halle Saint Pierre, superbe endroit à la sélection beaucoup trop tentante. J’ai craqué pour une sélection d’essais dont Conditions premières d’un travail non servile de Simone Weil.



Quatrième de Couverture
« L'arbitraire humain contraint l'âme, sans qu'elle puisse s'en défendre, à craindre et à espérer. Il faut donc qu'il soit exclu du travail autant qu'il est possible. L'autorité ne doit y être présente que là où il est tout à fait impossible qu'elle soit absente. Ainsi la petite propriété paysanne vaut mieux que la grande. Dès lors, partout où la petite est possible, la grande est un mal. De même la fabrication de pièces usinées dans un petit atelier d'artisan vaut mieux que celle qui se fait sous les ordres d'un contremaitre. Job loue la mort de ce que l'esclave n'y entend plus la voix de son maitre. Toutes les fois que la voix qui commande se fait entendre alors qu'un arrangement praticable pourrait y substituer le silence, c'est un mal. »

Mon avis
Dans cet essai écrit en 1942, Simone Weil décortique le travail dans le monde ouvrier et apporte un éclairage sur les mécanismes qui peuvent le rendre insupportable. De la nécessité d’une motivation spirituelle (enfin, elle parle de Dieu toutes les trois phrases donc c’est pour les croyants uniquement visiblement) au besoin de repenser la façon de donner des ordres de la hiérarchie en passant par la disparition fatale de la connaissance de l’appart de la tâche réalisée dans l’image globale, la philosophe nous propose une explication à la souffrance des ouvriers ainsi que des pistes d’amélioration.

Dans un second texte, Expérience la vie d’usine, Simon Weil passe par le concret pour analyser le travail en usine : elle se sert de sa propre expérience. Cette partie a eu plus de savoir à mes yeux, moins abstraite, elle m’a paru plus sincère et palpable. J’en retiens que le principal mal du travail de nos jours est de ne pas permettre aux personnes de capter la vision globale dans laquelle elles sont supposées s’insérer. On nous demande de faire partie d’un rouage sans nous permettre réellement dans connaître les fonctionnements et la finalité et c’est tout là le problème : perdre de vue notre valeur dans un système nous rend servile et transforme le travail en une nécessité insupportable. Travailler dans le seul but de gagner de l’argent pour ensuite le réinjecter dans la machine économie est le mal du siècle de Simone Weil, mal qui continue à perdurer dans le nôtre…

Les essais philosophiques sont généralement trop tortueux pour moi mais j’ai bien aimé me plonger dans cette réflexion malgré le rappel quasi constant à la religion qui m’a empêchée d’adhérer à l’ensemble du propos.

« Il n’est pas bon, ni que le chômage soit comme un cauchemar sans issue, ni que le travail soit récompensé par un flot de faux luxe à bon marché qui excite les désirs sans satisfaire les besoins. »
Expérience de la vie d'usine, p67

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

vendredi 1 mai 2020

Murmures à la jeunesse de Christiane Taubira

J’ai toujours été admirative de la façon dont s’exprime Christiane Taubira et de ses références littéraires, tout comme de sa culture. Au-delà de la femme politique, c’est l’oratrice et la femme de lettres qui a toujours su capter mon attention dans ses discours. Je m’étais dit qu’il fallait que je lise ses écrits et j’ai commencé par Murmures à la jeunesse, acheté il y a plusieurs mois déjà à la librairie chère à mon cœur Fiers de Lettres.



Quatrième de Couverture
« Attentats, lutte antiterroriste, état d’urgence… comment, dans ce contexte, préserver les valeurs qui sont le socle de la République ?
Déchéance de nationalité : peut-être est-ce faire trop de bruit pour peu de chose ? Peut-être serait-il plus raisonnable de laisser passer ?
Je ne suis sûre de rien, sauf de ne jamais trouver la paix si je m’avisais de bâillonner ma conscience.
» Ch. T.

Christiane Taubira revient sur les tragiques événements de 2015, raconte comment ils ont été vécus au sommet de l’État, quelles sont les forces obscures qui structurent ce nouveau terrorisme, comment on embrigade de jeunes Français pour les transformer en tueurs…
Mais la République possède en elle-même la puissance de riposte nécessaire, une riposte qui ne requiert aucun reniement si elle s’inspire de l’histoire de ses combats. L’auteure appelle les citoyens à trouver dans la culture et la beauté les raisons de défendre avec la plus farouche détermination les valeurs de notre société. Par ces temps troubles et incertains, les paroles de Christiane Taubira élèvent le débat et redonnent espoir à la jeunesse.

Paroles d’une femme de conviction, paroles d’une femme libre.

Mon avis
Murmures à la jeunesse est un essai publié par Christiane Taubira juste après sa démission du gouvernement en 2016 mais dont l’écriture a été achevée quelques jours avant. Dans une préface rajoutée en décembre de la même année, elle explique les raisons de sa démission. On comprend alors le facteur déclencheur de son départ : la déchéance de nationalité. Y sont évidemment abordés les tragiques événements de 2015, des attentats de Charlie Hebdo à ceux du 13 novembre puisqu’ils ont été à la source des débats et dissonances concernant la question de la nationalité.

Cet essai est clairement politique mais ce n’est pas pour cela qu’il doit être lu. Christiane Taubira y détaille sa position sur la déchéance de la nationalité, les mauvaises raisons qui ont amené ce débat sur la table, son inutilité dans la pratique et les stigmatisations qui en auraient découlé en cas d’ajout à la Constitution.

Pour petit historique, la déchéance de nationalité s’est invitée sur le devant de la scène lors de la montée du terrorisme et des attaques perpétrées en France. Le projet consistait à permettre à l’État français de retirer la nationalité française aux binationaux condamnés pour terrorisme (oui, c’est très résumé, mais c’est surtout ainsi qu’on nous l’a présenté, nous le grand public citoyen). Pourquoi uniquement les binationaux ? Parce que la France n’était pas prête à jouer contre la convention internationale signée en 1961 sur la limitation des cas apatrides (donc sans aucune nationalité), signée mais pas ratifiée ceci dit. Ainsi, en ne concernant que les binationaux, la France se protégerait et permettrait aux personnes concernées d’avoir une solution de repli.

Christiane Taubira démontre les failles de ce projet et ses effets pervers. La situation en 2015 et début 2016 laissait une France traumatisée, blessée et ayant un besoin de Justice. Une Justice bien compliquée à appliquer quand quasiment tous les terroristes sont déjà morts aux yeux des Français. Alors, pour apaiser le peuple et donner un sentiment d’action, la déchéance de nationalité est mise sur la table. Seulement, que signifie la déchéance de nationalité pour une personne qui porte allégeance à un état terroriste auto-proclamé, qui meurt pour une cause contraire à tout ce que représente la France ? Rien du tout. Ce projet n’aurait donc eu pour but que de satisfaire les citoyens français en quête de Justice. Mais les terroristes arrêtés ? La déchéance n’aurait sûrement pu être applicable que tard, des années après les faits, laissant alors largement le temps aux États concernés par ces personnes binationales de les déchoir avant la France de leur nationalité : plus d’application pour la France ensuite.
Par contre, l’inefficacité de cette mesure pour faire Justice aurait eu un effet pervers sur les citoyens binationaux : leur expliquer que le simple fait d’avoir deux nationalités mettait une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, qu’être citoyens de deux États faisait d’eux les seules personnes en France à pouvoir être déchus de leur nationalité française. Sympa, pas vrai ? Une inégalité que Christiane Taubira ne pouvait accepter.

« Quand à rompre l’inégalité et étendre aux non-binationaux, l’effet en serait plus directement de fabriquer des apatrides. Et il y aurait là l’illustration de la différence entre l’égalitarisme et l’égalité. Là où l’égalité élève en élargissant à tous des droits et des libertés réservés à certains, l’égalitarisme nivelle, par le bas et par le pire. » p38

Murmures à la jeunesse permet donc à Christiane Taubira de mettre à plat ses positions, ses convictions et de transmettre avec des mots poignants tout ce qui a fait qu’elle ne pouvait que démissionner pour être en accord avec elle-même. Ce texte est politique, il étaye quelques arguments contre la déchéance de nationalité mais il est surtout écrit avec un talent certain. Au-delà des idées, c’est pour la plume de Christiane Taubira qu’il est à lire, pour les mots qui génèrent des émotions fortes. Si les idées sont importantes, c’est bien plus pour la façon dont elles sont exposées que j’ai absorbé chaque page avec délectation. Je suis persuadée que le projet sur la déchéance de nationalité était bien plus complexe que ce que décrit Christiane Taubira dans son essai mais ce n’est pas grave, parce que c’est le travail littéraire qui m’intéressait le plus. C’est d’ailleurs ce qui risque de vous rebuter si vous cherchez quelque chose de précis sur le sujet : Christiane Taubira enrobe énormément son propos sous des couches de références littéraires, philosophiques. C’est pile ce que je recherchais, même si replonger dans cette page de notre histoire n’a pas été des plus simples.

Murmures à la jeunesse pousse à la réflexion mais est aussi une main tendue, une invitation à apprendre et à comprendre, une passerelle érigée pour nous permettre à nous, nouvelle génération, de faire le lien entre nos aînés mais aussi nos aïeux et de prendre part à façonner le monde de demain. C’est avec notre passé que nous devons avancer vers notre futur, quel qu’il soit.

« Lorsque le peuple doute de lui-même, il devient salutaire de lui rappeler ce qu’il a pu dire, y compris de contraire à ses principes et ses mœurs, ce qu’il a su faire, y compris dans l’adversité la plus rude. Il est bon de rappeler qu’il s’est trouvé des citoyens pour se livrer à la délation. Ces faits d’histoire ne doivent pas devenir de vieux démons, mais ils invitent à une prudence protectrice. L’histoire nous réserve parfois de ces feintes qui dénaturent profondément une intention de puissance publique. » p62

Les avis des Accros & Mordus de Lecture